Le poète israélien Aaron Shabtai dit NON au salon du livre de Paris

Aaron Shabtaï, un des plus grands poètes israéliens contemporains et le plus apprécié des traducteurs de drames grecs en hébreu explique dans cet entretien pourquoi il n'ira pas au salon du livre de Paris dédié au 60 ans de la fondation de l'Etat d'Israël, son pays.

Silvia Cattori : En décembre 2007, ayant appris que votre nom figurait parmi les noms de quarante écrivains israéliens invités au Salon du Livre de Paris, dont Israël sera le « pays hôte d’honneur », vous avez affirmé qu’il est impossible de participer à un « événement culturel où Israël, qui commet des crimes contre des civils quotidiennement », est, lui aussi, invité. Apparemment, trente-neuf écrivains israéliens ne considèrent pas leur participation comme problématique ?

Aharon Shabtai : Ce salon sera inauguré par le président français, Nicolas Sarkozy, ainsi que par le président israélien, Shimon Peres. Dans ces conditions, aller au Salon du Livre de Paris en tant qu’écrivain, figurant dans la délégation officielle israélienne, cela signifie que vous vous drapez dans les couleurs du drapeau israélien. Tous les jours, Israël perpètre des crimes de guerre, et inflige des punitions collectives aux Palestiniens. Il n’y a aucune raison de célébrer quoi que ce soit. Israël viole toutes les lois internationales. Pas seulement la Convention de Genève. La Cour Internationale de Justice de La Haye a condamné la muraille illégale qu’Israël a érigée sur le territoire palestinien confisqué.

Ce salon du livre, ainsi d’ailleurs que toute autre sorte de manifestation où l’État d’Israël est invité, n’est pas un moyen de promouvoir la paix au Moyen-Orient, ni un moyen d’apporter la justice aux Palestiniens. Il s’agit uniquement de propagande, visant à donner à Israël une image de pays libéral et démocratique.

Un État qui perpétue une occupation militaire et commet, quotidiennement, des crimes à l’encontre de civils, ne mérite pas d’être invité à une manifestation culturelle quelle qu’en soit la nature. Nous ne saurions accepter d’être considéré comme faisant partie de cet Israël là, qui n’est pas un pays démocratique, mais bien un pays d’apartheid. Nous ne saurions soutenir cet État, en quoi que ce soit.

Silvia Cattori : Donc, en invitant l’État d’Israël à célébrer ses soixante années d’existence, la France et les organisateurs de ce Salon sont en train, à votre avis, de faire une énorme erreur ?

Aharon Shabtai : Cela n’est pas une erreur ! C’est une politique ! Je pense que, pour M. Sarkozy, c’est une façon de participer à l’occupation israélienne [3]. Il y a une collaboration entre les gouvernements européens et Israël. L’invitation d’Israël en fait partie. Sans l’aide des États-Unis, et désormais, sans l’aide de la France, Israël ne pourrait pas poursuivre une telle politique à l’encontre des Palestiniens. Cette aide donne à Israël le feu vert pour attaquer et tuer des Palestiniens, en particulier à Gaza. Il est très regrettable de constater que la France, l’Allemagne et les autres pays européens – qui ont un passé de persécution à l’encontre des juifs – participent, aujourd’hui, à la persécution, par Israël, des Palestiniens et des peuples arabes et musulmans.

Silvia Cattori : Que répondez-vous à ceux qui disent qu’il faut ne faut pas mélanger la culture et la politique ?

Aharon Shabtai : Pourquoi les séparer ? Dans la tradition européenne, comme chez les Grecs, des écrivains, tels Voltaire, Rousseau et Thomas Mann, ont toujours lutté contre l’oppression et pour la liberté. Les intellectuels et les écrivains progressistes se sont de tout temps engagés dans la critique politique.

Silvia Cattori : Donc, vous condamnez ceux qui s’apprêtent à participer à ce Salon, comme Amoz Oz, Avraham B. Yehoshua, Aharon Appelfeld, David Grossman, Zeruya Shalev, Etgar Keret, Orly Castel-Bloom, et autres ?

Aharon Shabtai : Oui ! Bien entendu ! Je les condamne, car, en agissant comme ils le font, ils contribuent à la propagande israélienne, et ils collaborent avec les occupants israéliens !

Silvia Cattori : Les avez-vous appelés à se joindre à votre action de boycott ?

Aharon Shabtai : Mais des écrivains tels Amoz Oz, David Grossmann et autres, ne veulent absolument pas boycotter Israël ! Je n’attends rien d’eux : ce sont des ambassadeurs d’Israël. Ils sont tout à fait coutumiers de la collaboration avec le gouvernement israélien ; ils font partie de l’appareil de propagande israélien. Aussi, il est tout-à-fait naturel, pour eux, d’aller partout où Israël est officiellement invité. Ils travaillent pour le gouvernement israélien.

Silvia Cattori : Ces écrivains israéliens sont donc bien des « collaborateurs » ?

Aharon Shabtai : Oui, bien sûr. Ces invitations sont, en effet, généralement lancées par un gouvernement qui perpétue le maintien du peuple palestinien sous une occupation militaire. Je pense que tout intellectuel, que tout écrivain, doit refuser de participer à toute réunion durant laquelle un anniversaire d’Israël puisse être célébré. Au lieu d’y aller, ils doivent aider les Palestiniens à recouvrer leurs droits, leurs terres et leur eau.

Il est de notre devoir de combattre les discriminations et les persécutions israéliennes ; d’avoir la même attitude que celles qu’eurent les écrivains, durant la lutte contre le régime d’apartheid sud-africain ; l’attitude qu’eurent des écrivains progressistes radicaux comme Brecht, Aragon, Breton, qui organisèrent, sous le nazisme, un Congrès et s’efforcèrent de lutter autant qu’il était possible contre la discrimination et la persécution dont les juifs étaient les victimes.

Silvia Cattori : Est-il vrai alors que le gouvernement israélien se sert des Israéliens œuvrant dans les domaines des arts et des lettres dans le cadre de son réseau de relations publiques, pour mener sa guerre d’information, comme un moyen visant à afficher un visage avenant d’Israël ?.

Aharaon Shabtai : Oui ; le régime israélien utilise des artistes, ces créateurs, comme des agents de relations publiques ; tout-à-fait à la manière dont les écrivains soviétiques, à l’époque de l’URSS, étaient mobilisés par le régime.

Ainsi, les écrivains israéliens se rendent, aujourd’hui, à Paris, en tant que collaborateurs d’un régime odieux, et comme partie prenante à ce régime. Dans une telle situation, quand de tels crimes sont perpétrés, jour après jour, par Israël à l’encontre des Palestiniens, quiconque ne coupe pas tous liens avec le gouvernement israélien – c’est une donnée objective – collabore avec Israël, et fait œuvre de propagandiste pour cet Etat.

Plus d'articles de : Actualité

Commentaires (7) | Réagir ?

avatar
abdalah aljazaiiri

cest ce qu on appele humanisme, ainsi font les grands ecrivains de tous les temps

avatar
Mouloud madoun

Bonjour,

le 16 Février, Je mentionnais suite à votre papier sur "Yasmina Khadra, décoré de la médaille d'officier des Arts par la France" la réponse de Aharaon Shabtai aux organisateurs du Salon du livre, je souhaitais que Yasmina Khadra s'exprime sur ce salon. Je cosntate, à ma connaissance, AUCUNE réaction encore: Est il bloqué par sa réputation indéniable de grand écrivain ou par son statut de Directeur de centre algérien de la "culture"? En France les médias sont au service d'ISRAEL: aujourd'hui c'est encore plus vrai que jamais depuis l'alignement de la France comme nouveau toutou après Blair de la politique BUSH-ISraélienne. On veut nous faire croire qu'il vaut participer au salon pour faire entendre notre voix? Comme si les arabes avaient une voix? on l'aurait sû avec les massacres qui DURENT depuis 60 ans. Pourquoi ne pas mettre le SALON au service de la paix: Inviter Isréaliens (juifs et arabes) et pas seulement écrivains en Hébreu (les écrivains israéliens de langue arabes sont ils de seconde zone pour être exclus par le salon) et Palestiniens et en faire un outil de RECONCILIATION en faisant reconnaitre ENFIN l'ETAT Palestinien par ISRAEL? Après tout, il Y a 60 ans, en 1948, l'ONU CREEAIT DEUX ETATS: Isréalien et Palestinien: OR depuis 60 ans, non seulement UN SEUL ETAT a vu le jour, mais il s'est renforcé au détriment des Palestiniens devenus des éternels réfugiés: Un Etat Isréalien qui s'est imposé par la force et qui a installé un système d'APARTHEID, que tout le monde peut constater à Tel aviv et surtout à Jerusalem) avec LA COMPLICITE ACTIVE des Occidentaux et plus ou moins passive des ARABES. C'est ce que le SALON DU LIVRE feint d'IGNORER en nous prenant pour des IMBECILES et nous accuser d'être contre la littérature. HEUREUSEMENT que des GRANDS ECRIVAINS comme SHABTAI donnent à TOUS des leçons au salon et aux autres. Je termine en disant qu'il serait grand temps qu'en Algérie on reconnaisse, on publie et lise des auteurs JUIFS ISRAELIENS comme Shabtai et beaucoup d'autres. La position de SHABTAI ne lui a pas valu d'être convoqué par la justice et condamné pour TRAHISON ou diffamation? A bon entendeur.

Cordiales salutations.

mouloud.

visualisation: 2 / 7