Aït Ouabane (Kabylie) : une culture vivrière exclusivement féminine

Aït Ouabane (Kabylie) : une culture vivrière exclusivement féminine

Au village d’Ait Ouabane, relevant de la commune d’Akbil (80 km à l’extrême sud de Tizi-Ouzou), des femmes continuent de cultiver leurs potagers pour subvenir à leurs besoins en légumes de saison.

Les habitants d’Aït Ouabane, un village enclavé au creux d’un ravin, en plein cœur du parc national du Djurdjura, ont su mettre à profit les potentialités de leur environnement naturel pour créer autant de richesses et de conditions nécessaires à leur quotidien. La terre ocre, riche en fer, et la disponibilité d’une eau souterraine, qui jaillit en de nombreuses sources, ou captée par la réalisation de puits, constituent, à cet égard, les premiers atouts ayant permis aux Ait Ouabane de cultiver et d’irriguer leurs jardins pour produire de magnifiques légumes et fruits consommés localement ou cédés dans les villages voisins de la région.

Cette culture vivrière, exclusivement féminine, et qui était répandue dans tous les villages de Kabylie, et même dans les villes pour ceux qui ont la chance d’avoir un petit jardin, n’est cependant pratiquée aujourd’hui que par des femmes âgées dans de rares hameaux et villages, à l’exemple de celui d’Ait Ouabane.

"Jadis à Ait Ouabane, chaque maison avait son potager", se souvient Tassadit, une cultivatrice âgée de 75 ans, rencontrée lors de la première édition du marché d’automne des fruits et légumes, organisée en novembre dernier, au niveau du village, ajoutant fièrement qu’elle ne se rend jamais au marché pour acheter des légumes. Djouher, sa belle-mère, âgée de 90 ans, se souvient qu’avant, "les chefs de famille se rendaient au marché hebdomadaire, uniquement pour acheter des produits que les femmes ne pouvaient pas faire pousser dans leurs jardins, tels que le café, le sucre et la viande".

Navets, carottes, courges, piments, pommes de terre, haricots, les femmes d’Ait Ouabane, en produisent dans leurs jardins, de petits lopins de terre mitoyens à leurs habitations ou dans leurs champs. "Cette culture vivrière, dictée par la pauvreté que vivaient les habitants de la région durant l’époque coloniale, vise à assurer aux familles une autosuffisance alimentaire relative", explique M. Ouazi, un habitant du village d’Aït Ouabane. Pour ce jeune, un des initiateurs du marché d’automne, le retour à ce type de culture est à "encourager pour faire face à une société de consommation de plus en plus exigeante, et aller vers un comportement productif".

Durant cette époque, les produits de la terre permettaient aux femmes d’assurer le repas pour leurs familles et d’en offrir aux voisins en cas de surplus de production, observe-t-il. Selon Djouher, lorsque la récolte est abondante, des fruits et légumes sont offerts aux voisins et aux proches. Cette dame se souvient encore de l’époque "bénie" ou de belles courges, des grenades, des figues fraîches et même des cerises sont offerts.

"Aujourd’hui, la vie est chère et nous avons appris à vendre nos produits, y compris ceux que l’on considérait, jadis, comme offerts par la nature, tels que les grenades", ajoute-t-elle avec beaucoup d’amertume.

Ait Ouabane, le village du piment fort

Le village d’Aït Ouabane, aujourd’hui peuplé de 3.700 âmes, est surtout réputé dans la région pour son piment appelé localement "Klilouche" et ailleurs, le piment "Aouabane", du nom du seul village de la région qui le produit. Ce petit piment, très fort, se déguste de différentes manières. Lorsqu’il est cueilli frais et de couleur verte, il est grillé sur la braise avec des tomates. Le tout est ensuite pilé au mortier et généreusement arrosé d’huile d’olive.

"Servi avec une galette toute chaude, cette salade grillée constitue en été, un plat principal qui se déguste à tout moment", indique Tassadit. Pour pouvoir disposer, en toute saison, de ce légume apprécié par tous et dont les familles d’Ait Ouabane ne sauraient s’en passer, les femmes réservent une partie de la récolte pour la faire sécher.

Le légume est alors laissé mûrir jusqu’à ce qu’il se colore d’un beau rouge vif, avant d’être cueilli. Une fois séché, les femmes le conservent en chapelets qui rappellent les colliers en argent ornés de corail rouge, taillé en forme de piment, fabriqués par les bijoutiers d’Ath Yenni. Ce produit séché appelé "Achelkouh" est utilisé en hiver, pour relever et épicer plusieurs plats, notamment le couscous et le berkoukes.

Feu Da Brahim, le dernier vendeur ambulant du piment d’Ait Ouabane

Si le piment des Ait Ouabane est connu partout dans la région, c’est grâce aux marchands ambulants qui n’hésitaient pas à se rendre dans les villages voisins pour l’écouler. Feu Da Brahim était le dernier vendeur de piment d’Ait Ouabane, témoigne, à cet effet, Bessadi Farid, un habitant du village.

Cet homme qui a commencé à vendre le piment très jeune, a continué à le faire jusqu’à sa mort avec les mêmes moyens. "Il chargeait les piments sur une bête de somme et faisait le tour des village voisins pour le vendre. Parfois, il partait pour ne revenir qu’au bout de plusieurs jours. La distance ne lui faisait pas peur lorsque le temps est clément. ll se rendait jusque chez les Ait Ghobri pour écouler sa marchandise", ajoute M. Bessadi.

"C’est, d’ailleurs, dans cette région que Da Brahim est mort, en 2009. Il s’était rendu à Azazga pour vendre du piment et il est mort en descendant de son mulet", raconte-il.

Une tradition agricole séculaire

Outre ce légume, différentes variétés de courge sont également très cultivée dans le village d’Aït Ouabane pour leur consommation ou pour leur utilisation comme calebasse pour baratter le lait et obtenir du beurre et du petit lait. La réussite de la culture de la courge qui demande un apport particulièrement considérable en eau, dans un village de montagne comme Ait Ouabane, est liée à une gestion rationnelle et équitable de l’eau par le comité de village.

Les vieux se souviennent de la fameuse fête appelée "Tafaska n’tregwa" (la fête de l’irrigation). Célébré au début du printemps, cet évènement agraire consacre "l’ouverture annuelle des amenées d’eau naturelles devant permettre au précieux liquide de couler à travers les parcelles du village dans le but d’assurer l’irrigation pour tous les potagers, avec le souci d’une répartition équitable de cette ressource entre les habitants", explique la dynamique association les Amis du Djurdjura.

Les villageois d’Ait Ouabane qui ont organisé en novembre dernier le marché de l’automne, espèrent que la culture vivrière soit réhabilitée par les familles à travers leur village, mais aussi dans d’autres hameaux de la wilaya.

Majda Demri/APS

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Commentaires (5) | Réagir ?

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algerie

merci

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algerie

merci

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