Le 1er novembre, Boudiaf et la rédemption par l’alibi des mythes fondateurs

Bouteflika ou l'art de mélanger Novembre avec son projet de réconciliation nationale.
Bouteflika ou l'art de mélanger Novembre avec son projet de réconciliation nationale.

La perversion de l’exemplarité du 1° novembre 1954 ou le révisionnisme au service de la rédemption

Ce n’est que lors des pannes récurrentes de la légitimation du discours autoritaire et totalitaire, - signes de son épuisement, et atteignant le paroxysme de la contradiction entre la promesse et l’action - que le régime despotique algérien convoque l’alibi désespéré du mythe fondateur de son État, afin de continuer à entretenir l’illusion de pouvoir faire reculer indéfiniment son inévitable agonie.

C’était le cas lors de la menace massive du boycott des législatives du 10 mai 2012 et la crainte d’un soulèvement populaire sans précédent, accentuant un surmoi pressant, déjà cerné tangiblement à la disqualification généralisée des régimes autoritaires et totalitaires de la région, et surdéterminé par la menace des puissances impérialistes, alors, sur une dynamique prédatrice engendrée par l’aubaine offerte par la situation qui prévalait pendant les révolutions arabes. À cette occasion, - qui compte parmi les plus dangereuses ayant menacé sérieusement le pouvoir algérien - sera convoquée l’exemplarité du déclenchement de la guerre de libération nationale du 1er novembre 1954, prononcée par A. Bouteflika sur un ton, qui l’a surinvestie mythologiquement et idéalisée caricaturalement, en tant que modèle rassembleur et atténuateur des dissensions d’autrefois, entre les différentes expressions du mouvement national, autour d’un objectif commun : le recouvrement de la souveraineté nationale. Allant jusqu'à la qualification de traîtrise de la position des boycotteurs des législatives du 10 mai, et de toute tentative critique à l’encontre de la nature du régime politique en remettant en question la diversion initiée unilatéralement autour du "processus de réforme" dans l’unique but de l’instrumentalisation de celle-ci au profit de son discours de légitimation.

Or, la situation politique de l’Algérie de 2012 n’est plus celle du 1ernovembre 1954, et l’exemplarité de ce moment historique, devenu un mythe, ne présente aucune pertinence à être convoquée dans la situation qui prévaut en 2012. Car, l’objectif premier pour lequel la guerre de libération nationale a été déclenchée a été atteint, et la souveraineté nationale acquise. Alors que son deuxième objectif, qui était l’accès du peuple à sa souveraineté, - par sa désaliénation de l’autoritarisme politique, qui ne pouvait se réaliser que par la liberté d’opinion dans un pluralisme politique - rendait les conditions, identifiés autrefois en tant qu’obstacles pour la réalisation du premier objectif, comme l’objectif de ce second temps, qui garantit dans la situation politique de 2012 l’exercice souverain de la citoyenneté. C’est-à-dire, que la suspension de l’expression pluraliste du mouvement national, ayant été le moyen par lequel la guerre de libération nationale a été menée, la levée de cette suspension devrait devenir aujourd’hui l’objectif même vers quoi faire tendre les buts recherchés par les législatives du 10 mai 2012, et les réformes politiques promises, à savoir, la validation de l’exercice souverain de la citoyenneté dans le pluralisme de l’opinion politique. La convocation du mythe du 1er novembre 1954, entendu au sens du pouvoir, apparaît d’évidence, non pas seulement comme un moyen impertinent devant la situation d’aujourd’hui, caractérisée par l’impasse politique engendrée par les dérives autoritaires du régime, mais de plus comme une perversion de celui-ci, en tant qu’alibi à la légitimation du discours autoritaire et totalitaire, qui permet au pouvoir le maintien du statu quo et la perpétuation de sa domination.

Le but recherché dans ce cas est de produire une réaction populaire, consistant en une adhésion massive et aveugle à ce mythe ainsi surinvesti et idéalement caricaturé. Dans une stratégie qui procède depuis toujours par la manipulation des affects du peuple, pour faire écran à toute possibilité de prise de conscience critique sur sa surexploitation en tant qu’alibi de légitimation, afin de neutraliser sa prédisposition au soulèvement révolutionnaire, qui aurait pu être engendré et encouragée par les soulèvements populaires dans les pays voisins. C’est donc par la perversion des objectifs fixés par cette date mythique du 1° novembre 1954, que se détermine la pertinence de la convocation de ce mythe au profit du statu quo.

Beaucoup plus grave encore, ce révisionnisme qui ne dit pas son nom, accentue la surexploitation de cette date historique devenue un mythe à faire valoir, en tant qu’alibi à la légitimation du discours de domination. En opérant une discrimination par l’élection d’une clientèle favorable à son hégémonisme, et contre révolutionnaire par son idéologie, représentée par l’islam politique, - caractérisée dans plusieurs de ses aspects par une tendance fascisante, notamment par la discrimination des minorités, des femmes, et la castration de la liberté de conscience - pour représenter sa nouvelle coalition. Cette clientèle vient en effet consolider ce révisionnisme par la nature même de son idéologie aussi autoritaire et totalitaire, envisagée comme une association compatible avec leurs intérêts convergents.

En effet, l’association de la commémoration du 58e anniversaire du 1er novembre 1954 à celle du 7e anniversaire de la "Charte pour la paix et la réconciliation nationale", (…) matérialisée par la politique de l'amnistie générale accordée aux maquis des GIA, GSPC, Al Qaïda au Maghreb islamique, vient confirmer cette association par la convergence des intérêts du pouvoir avec l’islam politique, ou le sacrifice, le patriotisme, le champ d'honneur, les maquis de la libération du pays, ses hommes, ses stèles doivent ainsi revenir, dans les mêmes termes honorifiques, à l'islamisme politique comme projet de société et ses "combattants" perçus comme les continuateurs des hommes de novembre.(3) En pervertissant ainsi les moyens de la guerre de libération nationale en son objectif, par la centralisation du pouvoir et la neutralisation du pluralisme de l’expression politique, le régime despotique d’Alger scelle ainsi l’édifice révisionniste par la négation de la dimension révolutionnaire et universelle de la guerre de libération nationale.

Ce fut aussi le cas au moment de la très grosse panne du discours d’autolégitimation du pouvoir devant l’impasse politique engendrée par l’arrêt du processus électoral en 1992. À cette occasion, ce fut alors, la convocation du mythe vivant, incarné en la personne de Mohamed Boudiaf, en tant que principal architecte du mythe fondateur de l’État algérien représenté par la date historique du 1° novembre 1954, par le rôle principal qu’il a joué dans l’action de préparation du déclenchement de la guerre de libération nationale. Il fut dépeint à son tour à l’époque par les médias publics asservis au pouvoir, comme étant l’incarnation même de la pureté révolutionnaire, au même titre que l’histoire de la guerre de libération nationale est enseignée et prise en charge depuis toujours par l’Éducation nationale. Mohamed Boudiaf n’était pourtant pas si innocent que ça dans la germination de l’autoritarisme à la tête de l’encadrement des premiers instants de la guerre de libération nationale. Voir à ce propos le témoignage d’Abderrahmane Gherras, ancien responsable de l’Organisation spéciale (OS) de Constantine, Sétif et Biskra sur les raisons de la dissidence constantinoise dans les tous premiers moments du déclenchement de la guerre de libération nationale. (1) Son témoignage indique d’une part, l’importance des stricts enjeux de pouvoir à l’origine même du déclenchement de l’insurrection, d’autre part que les réserves constantinoises, si elles avaient visé les méthodes de Boudiaf, s’élargissaient, en vérité, à l’ensemble du processus de mise en place de l’insurrection.(2) Cette attitude influença sans doute par la suite le mode de gestion des taches de responsabilité, presque pour tous les cadres du commandement, devenu une culture politique et parvenue jusqu'à nous, pour constituer la règle de fonctionnement du pouvoir occulte irrigué en système. Il est certain que les structures sociales patriarcales de la société algérienne ne sont pas étrangères à cette prédisposition des hommes du commandement à se laisser tenter par les dérives autoritaires.

L’amorce du virage de la maturation de la conscience politique de la grande masse du peuple, passe inconditionnellement par la démystification des mythes construits autour de personnages ou d’évènements surinvestis de vérités fantasmés pour renforcer son aliénation dans la soumission.

Youcef Benzatat

(1) - Yves Courrière, Les fils de la Toussaint, Paris Fayard, 1968.

- Mohammed Harbi, 1954. La guerre commence en Algérie, Paris, Complexe, 1984.

- Mémoires de Lakhdar Bentobbal, établis et mis en forme par l’historien Daho Djerbal, cité par Abdelmajid Merdaci.

(2) Constantine – 1954 : entre l’insurrection et la dissidence, pages 267 à 279, article de Abdelmajid Merdaci, publié dans La guerre d’Algérie, ouvrage collectif dirigé par Mohammed Harbi et Benjamin Stora, éditions Robert Laffont, 2004.

(3) Le 1er novembre à l'heure de l'amnistie de Bouteflika, par RN, le Matindz, 1er novembre 2012

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Commentaires (2) | Réagir ?

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alba aldo

qui etes vous et que representez vous pour dire que la visite de hollande - et au delà de chef d'etat souverain-n’est pas souhaitable?VOUS etes tous stratéges, comme au football vous etes les meilleurs selectionneurs, les plus grands arbitres et meme joueurs, passez votre temps à donner des leçons à "siadkom" au lieu de faire preuve de modestie, d'apprendre et etre sage. nombrilisme made in algeria à l'image de vos dirigeants en prime la vanité!

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karim Aït Aïssa

Le terrorisme nait et se nourrit de la misère économique, de la frustration sociale et de l’idéologie et se combat par les armes du développement économique, du bien-être social et l’accès pour chaque individu à la connaissance universelle.

La seule arme efficace contre le terrorisme est la bonne gouvernance.

Tant que la communauté internationale n’arrive pas à s’entendre sur une définition commune de ce qu’est le terrorisme, le terrorisme continuera de constituer le moyen au service d’une fin, c’est à dire un enjeu faisant l’objet de manipulations psychologiques et politiques.

Ce qui se trame au Sahel n’a rien à voir avec une quelconque volonté de lutter contre le terrorisme, la visite du premier ministre israélien en France plaide plutôt pour une stratégie de ‘redistribution des cartes’ qui se met en place, à la défaveur quasi certaine des peuples des ‘’pays du champ’’.

Il s’agit de provoquer un conflit afin de créer une nouvelle situation ‘’imprévue’’ qui nécessitera une nouvelle résolution afin de donner le temps pour que les ‘maîtres du monde’ puissent s’entendre sur le système à mettre en place dans toute la région.

La venue du chef de l’État français en Algérie en décembre prochain n’est pas souhaitable. ck