Plaidoyer pour le statut de martyr aux résistants à la dictature

Yaha Abdelhafidh, Aït Ahmed et l'aspirant Mohand Arezki, au début de la rébellion armée du FFS.
Yaha Abdelhafidh, Aït Ahmed et l'aspirant Mohand Arezki, au début de la rébellion armée du FFS.

Quels sont les enjeux qui motivent la distinction entre statuts de martyr et de victime initiée par Abdelmalek Sellal sous les ordres d’un pouvoir occulte ayant sur les mains le sang des Algériens ?

Il y a quelques jours, lors d’une conférence de presse, Abdelmalek Sellal avait affirmé que "la réconciliation nationale concernait toutes les personnes qui ont souffert de la tragédie nationale sous toutes ses formes". Précisant que les combattants du FFS, qui luttaient pour la démocratie et l’instauration d’un Etat de droit, tombés dans le champ d’honneur entre 1963 et 1965 dans le combat qui les opposé aux despotes de l’EMG qui ont pris le pouvoir de force pour instaurer une dictature, seront considérés comme simples victimes, régies par la loi de la réconciliation nationale !  

Il faut rappeler que cette loi de "réconciliation nationale" fut votée unilatéralement par un pouvoir illégitime, pour se laver les mains des crimes commis contre le peuple lors de la décennie noire pour sauvegarder son pouvoir. Cette loi ne présente donc aucune valeur de droit devant l’histoire. Elle sera imposée au peuple par la force, tant que durera ce pouvoir à caractère despotique, en l’occurrence le pouvoir occulte algérien. Cette déclaration de Sellal implique donc que tous ceux qui ont été martyrisés depuis l’accès de l’Algérie à son indépendance du joug colonial seront considérés comme de simples "victimes" d’une "tragédie nationale". Le combat pour la démocratie et l’Etat de droit sera ici réduit à une tragédie nationale, dont la responsabilité du pouvoir face aux personnes ayant subit des mauvais traitements ou tuée pendant ce combat est désengagée. Alors que toutes ces personnes luttaient contre ce pouvoir qui prive le peuple de sa souveraineté. L’enjeu ici est des plus clairs. Comme ce fut le cas pour se laver les mains des crimes commis contre le peuple lors de la décennie noire, le pouvoir tente d’élargir cette fallacieuse "loi de réconciliation nationale" pour se laver les mains de tous les crimes commis depuis l’accès à l’indépendance du joug colonial, contre tous ceux qui militaient pour l’instauration d’un état de droit.

Dans cette logique du pouvoir, est considéré en tant que martyr, exclusivement tout combattant ayant participé à la guerre de libération nationale et qui est mort au champ d’honneur pendant son combat ou sa résistance à l’occupant.

Malheureusement, le combat pour la libération du joug colonial s’est avéré insuffisant, car sitôt l’occupant colonial chassé du territoire algérien, qu’un autre occupant s’est investi à sa place par opportunisme et par cupidité, issu du peuple algérien lui-même et qui a perpétué la domination par la privation du peuple de sa souveraineté. Ainsi, tous ceux qui ont lutté contre l’illégitimité du nouveau pouvoir, autoritaire et totalitaire, depuis sa prise du pouvoir par la force, au tournant de la libération du joug colonial, et qui ont dû subir sa répression sont en droit d’être honorés du statut de martyr. Sont également concernés par ce statut, généralement tous ceux qui sont morts ou ont eu à subir des mauvais traitements dus à leur combat et à leur résistance à l’occupation coloniale depuis ses débuts en 1830. 

Depuis l’accès de l’Algérie à l’indépendance nationale, toute personne ayant subit des mauvais traitements, torturée ou tuée par le système politique illégitime, autoritaire et totalitaire, pour ses opinions, pour avoir défié ce système tenu pour responsable de l’injustice et de la privation des libertés fondamentales auxquelles est soumis tout un peuple, ne peut être considérée comme une simple victime. Son combat est un combat pour les droits et la dignité collective de tout un peuple. Les mauvais traitements et les souffrances qu’il a subis en conséquence de son engagement ne peuvent faire de lui une victime de l’hostilité de quelqu’un ou d’un groupe de malfaiteurs pour défendre ses propres intérêts ou son intégrité physique. Son combat concerne tout le groupe auquel il appartient, et de ce faite, il est considéré en tant que combat porté par un idéal humain. Le statut de ses souffrances dues aux mauvais traitements qu’il a subis pour son engagement est reconnu par tous ceux qui subissent les injustices pour lesquelles il s’est engagé comme une martyrisation. C’est son combat pour une cause juste portée par un idéal humain qui lui confère le statut de martyr. Dès lors, tous ceux qui ont combattu le système de pouvoir algérien, depuis sa confiscation de la victoire de la guerre de libération nationale et sa prise en otage de l’État, et qui ont eu à souffrir de ses mauvais traitements sont admis à ce statut de martyr, qui honore toute personne qui lutte dans l’abnégation pour les droits et la dignité humaine.  

À commencer par les moudjahidines des maquis, qui ont essayé de protéger la tenue de la constituante pour valider une légitimité au pouvoir naissant en tentant de stopper, vers le 31 août 1962, la progression vers Alger des armées des frontières venues s’accaparer du pouvoir par la force et qui sont tombés sous leurs balles, qui se comptent à un millier de morts. Les combattants ayant pris part à l’insurrection menée par le FFS contre ce premier pouvoir illégitime, qui se comptent quant à eux à plus de 400 morts. Les 126 morts du printemps berbère. Les 500 morts du soulèvement populaire du 5 octobre 1988 et tous les autres morts. Les martyrs sont aussi tous ces militants pour la démocratie et ces anonymes innocents qui ont été tués ou torturés jusqu'à en perdre la raison pendant la décennie noire des années ’90, y compris ceux d’avant et ceux d’après cette période qui a vu près de 200 000 Algériens décimés et des milliers de disparus forcés. 

Ne peuvent être considérés comme martyrs les groupes terroristes, qui combattaient le pouvoir et le peuple pour le compte d’une idéologie obscurantiste, afin de s’accaparer du pouvoir et d’instaurer un nouveau système de domination et de privation du peuple de ses libertés fondamentales, au profit d’une minorité d’opportunistes. 

La liste des morts, des suppliciés, de ceux qui auront à subir de grandes souffrances qui seront dues aux mauvais traitements, aux tortures, à cause de leurs opinions, dans le combat et la résistance pour la liberté n’est pas encore close. Car il y en aura toujours des personnes courageuses et dignes qui lutteront pour la liberté et s’exposeront ainsi au risque de mourir pour cet idéal, tant que leur libération et celle du peuple algérien n’ont toujours pas été acquises, et ces futurs morts sont aussi des potentiels martyrs. Alors monsieur Sellal, vous oubliez de nous préciser que la tragédie continue. Vous oubliez ceux qui sont à l’heure où vous donniez votre conférence de presse sont en train de subir la torture dans les geôles de vos employeurs, pour avoir eu le courage de dénoncer leur despotisme. Vous oubliez tous ceux qui ont choisi l’exile pour échapper à la répression et pour pouvoir vivre dans la dignité. 

Youcef Benzatat

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Commentaires (3) | Réagir ?

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khelaf hellal

Une dictature qui tue ou qui fait que les algériens s'entretuent pour ensuite se frotter les mains en s'accoquinant avec la partie qui l'arrange le plus pour garder le pouvoir, est-ce que ce n'est pas malin ça ? Une dictaure qui a les mains tachées de sang et qui ne se sent responsable de rien, une dictature qui indemnise et qui pardonne à tour de bras sans en oublier aucun juste pour rester au pouvoir, comme c'est bizarre! Pour elle, il n'y a pas de martyrs, il n'y a que des victimes dont elle endosse toute la responsabilité mais elle accepte d'accorder les indemnisations nécessaires s'il le faut à condition de se maintenir au pouvoir. C'est une dictature qui ne dit pas son nom et qui compte s'inscrire dans la durée mais elle est tombée dans son propre piège machiavélique : "la fin justifie les moyens. "

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Brahim Arbat

Mais dans tout ce que vous essayez d'expliquer en donnant des chiffres (et là vous faites dans le disours pourri du systéme) je ne retiens que la chose suivante, Sellal est une entité kabyle supplémentaire assujettie, donc victime. Il ne le ressentira qu'au moment où il se mettra face à son pc pour écrire ses mémoires dans le but de se laver de l'affront qu'il est en train de foutre dedans aujourd'hui.

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