Mohamed Aouli : "Je reste attaché à toutes ces valeurs du terroir"

Le Matin 25-09-2017 8747

Mohamed Aouli : "Je reste attaché à toutes ces valeurs du terroir"
Mohamed Aouli.

Mohamed Aouli est un auteur prolifique. Retraité, il s'emploie depuis quelques années à écrire sur le vécu de ses semblables des romans. Mais toujours avec ce souci de transmettre aux nouvelles générations des pages de l'histoire sociale. L'exil, la guerre, l'amour y sont évoqués avec une plume aiguisée. Entretien.

Le Matindz : Qui est Mohamed Aouli ?

Mohamed Aouli : Je ne vous cache pas que je peine à parler de moi, ce qui en soi est peut-être une erreur, c’est du moins c’est ce que je pense, car je pourrai éventuellement peut-être servir d’exemple pour ceux qui se doutent de leurs capacités, et de ça j’en suis même certain, pour avoir été mon cas. Plus grave, car c’est aussi ainsi que nous avons permis aux médiocres d’émerger et d’occuper le terrain, la preuve s’il en est, est la situation que vit actuellement notre pays et ce dans tous les domaines, mais nous ne sommes pas là pour parler politique (rire). Mais je voudrais quand même insister auprès de nos jeunes talons pour leur dire que la modestie quoique vertueuse, cette répugnance et autre pudeur à faire valoir ses capacités mêmes auprès de certains hypocrites, sont des erreurs, il faut rendre à César ce qui lui appartient et à Kaci sa justice !

Pour revenir à ma petite personne, je suis né au début la Seconde guerre mondiale, cette plus mauvaise période vécue par notre peuple non seulement pour cette immonde colonisation, mais aussi pour ses effets pervers sur nous, particulièrement dans ce plus haut village d’Algérie en l’occurrence Tiferdoud qui m’a vu naître et qui cumule à 1197 mètres d’altitude, une région montagneuse aride, ingrate, dépourvue de tout, ou les habitants pour subvenir aux besoins minimums vitaux des leurs doivent s’expatrier, donc fatalement fils d’immigré, ce que d’ailleurs je deviendrais par la suite.

Pour l’anecdote, les Européens se font la guerre et c’est les colonisés qui trinquent, cet état qui avait surtout engendré la misère, le dénuement, la malnutrition pour ne pas dire rien et surtout toutes ces épidémies tels le typhus, la tuberculose et qui avaient anéanti des pans entiers des populations.

Quant à ma formation intellectuelle le hasard des circonstances avait voulu que l’administration coloniale de l’époque décide de doter l’école indigène du chef-lieu de la commune mixte du Djurdjura à Michelet d’une nouvelle classe pour garçons, et le directeur de cet établissement avait donc invité les élèves qui ont un frère à scolariser de l’inscrire, et c’était ainsi que je fis mon entrée à l’école à l’âge de neuf ans passés, grâce à mon frère aîné qui était en fin d’études, sinon j’aurais été analphabète comme la plus grande majorité des garçons de mon village, quant aux filles il n’y avait pas une seule d’instruite.

En toute modestie, j’avais été un très brillant élève, j’avais brûlé bien des étapes, mais pour cela j’avais eu cette chance d’avoir comme instituteurs ce légendaire Monsieur Edouard Tomé et néanmoins un autre aussi grand que fut Monsieur Hachemi Oussedik, à qui je ne cesserai jamais de rendre hommage, et qu’ils reposent surtout en paix.

Et bien sûr aussi à mon défunt frère Brahim, héros national de la révolution armée, car il fut avec Slimane Amirat, Abdelkader Ould Hamou, Tiklat, Benyahia etc…le premier jalon de la lutte armée en France, membres de ce premier groupe de choc permanent et à l’échelle fédérale du FLN, et qui d’ailleurs fut à l’origine de la création de la fameuse spéciale. Par la suite j’avais rejoint à mon tour mon père et mon frère émigrés en France où j’ai pu me perfectionné dans des centres d’apprentissages et autres cours du soir, et en 1966 j’avais réussi au concours d’entrée à l’INPED (Institut National de Productivité et du Développement Industriel) pour une appréciable et longue formation supérieure.

Ceci étant, je pense surtout devoir ma culture à la lecture, j’étais un insatiable dévoreur de livres, et ce depuis l’école primaire.

Le Matindz : Vous êtes venu sur le tard à l’écriture… Par quel processus, vous en êtes arrivé à écrire des romans ?

Comment je suis arrivé à écrire ? Je n’arrête pas moi-même de m’en étonner, je ne vous pas cache pas non plus que c’est contraint et forcé par les miens et amis, et ce d’ailleurs depuis fort longtemps, que la mort dans l’âme j’avais fini par les croire et enfin osé sauter le pas en envoyant mon premier manuscrit à un éditeur, qu’était : Nek (moi) ou les pérégrinations d’un indigène, une autobiographie en quelque sorte, et contre toutes mes appréhensions et craintes il avait été bien accueillie.

Et comme vous dites le couvercle de la marmite a donc fini par sauter et la machine s’était déverrouillée et mise en branle pour me permettre d’écrire en un laps de temps très court huit romans dans cette saga en quatre tomes d’Idelli que sont : Cupidon chez les magots (ou l’Abominable crime des tabous), le Défi, ….forgé fut le fer et … ils marchèrent sur l’eau, ainsi qu’Aliboron et Agawa qui lui sortira très prochainement en France et un autre en voie d’achèvement.

Le Matindz : Pourquoi sentez-vous le besoin d’écrire ? Y aurait une espèce de besoin à faire revivre des épisodes d’antan dans votre écriture ?

Maintenant avec du recul, oui, je pense aussi être influencé par l’état des lieux, cette sorte de quête nostalgique d’un certain passé que nos jeunes mythifient, alors que la réalité était tout autre, à croire qu’ils sont mal dans leurs peaux, et plus grave, certains qui n’avaient pas connu les méfaits du colonialisme vont jusqu’à le regretter.

Sans verser dans l’excès ou la diabolisation j’essaie de relater fidèlement une certaine façon d’être depuis les débuts des années cinquante, quelque peu romantique certes, mais sous forme de fiction, (rire) car il n’est surtout pas sain pour moi que certaines personnes croient se reconnaitre ou l’un des leurs dans l’une ou l’autre de ces trames.

Quant aux événements historiques relatés, je me suis bien gardé de fabuler, tout est donc authentique. D’autre part je suis très attaché à notre culture, pas celle des trémoussements du fessier, ou l’exposition d’une charrue, d’une jarre ou d’un moulin à moudre, mais celle-là même qui présidait jadis dans nos villages, pendant nos fêtes, nos alliances, Thajmath, et plus particulièrement pour ces lois qui viennent des fonds des âges et qui présidaient à cette gouvernance qui n’existe nulle part ailleurs, cette démocratie totale, entière ou la citoyenneté n’est pas un vain mot.

Cette façon sécurisante à plus d’un titre de vivre en communauté ou le devoir prime même sur le droit, cette égalité, pas l’égalitarisme, cette république villageoise laïque, qui avait fait dire aux premiers sociologues français ayants à visiter cette région après sa conquête : ‘’qu’elle est le rêve des utopistes.

Le Matindz : Depuis 2012, vous publiez assez régulièrement un roman. C’est un peu comme vous faisiez sauter le couvercle sur des histoires vécues ou imaginées depuis pas mal d’années…

Oui, il y a du vécu, comme vous dites, quoique imprégné de beaucoup de romantisme comme il sied à ce genre d’écrit, mais détrompez-vous, c’est à peine si j’écris une page par jour, c’est devenu une sorte de passion certes, mais je vis sereinement et surtout gaiement au milieu des miens, et plus particulièrement avec mes petits-enfants ! D’ailleurs je ne sais taper sur le clavier du micro que du seul index de la main droite (rire).

Le Matindz : Il est indéniable que votre écriture est fortement imprégnée par le terreau kabyle. C’est une société que vous connaissez par le menu et qui offre pour vous de nombreuses fenêtres pour entrer dans le roman…

Effectivement c’est un terreau fertile pour quiconque voudrait en parler, car elle est même fabuleuse, ou du moins elle l’était ! Savez-vous monsieur qu’il n’existe pas de mot insultant dans la langue kabyle, ce qui ne nous empêche pas de le faire dans toutes les langues, je vous l’accorde.

Par exemple en Kabylie on n’appelle pas un demandeur d’aumône : mendiant, ou un ‘’telab’’, mais ‘’inevgui rébi’’ (l’hôte de dieu). Askif N’tmana (le portique de la sauvegarde) ce petit no man’s land à l’entrée ouest de Michelet, ce refuge inviolable pour tous demandeurs d’asile et protection, ce lieu même ou avait souhaité être enterré cet immense poète que fut Si Moh Oumhend pour bénéficier de cette immunité même dans l’au-delà, échapper ainsi à la vindicte de ‘’Azraïn pour tous ses péchés, pour ne citer que ces exemples, doit être à mon avis porté à la connaissance des gens pour ce qu’il représente comme symbole.

Et puis c’est un peu naturel, comme dit précédemment, je reste attaché à toutes ces valeurs du terroir, c’est un riche terreau pour qui voudrait transmettre un message sécurisant quant à notre patrimoine culturel, humain, tous ces beaux symboles qui nous viennent des temps anciens, cette agora qu’est Thajmath, ce partage, cette mobilisation (Tachemlit) pour les travaux commun, Thimechret (sacrifice des bœufs) lors de l’Achoura par exemple, et dont la distribution de la viande se fait non pas au prorata de la somme versée, qui d’ailleurs se fait dans la discrétion absolue pour ne pas complexer les démunis, et qui est surtout une obole, mais par le nombre de personne présentes ce jours au village y compris les invités.

Le Matindz : D’ailleurs, on voit bien que vos romans sont frappants par leur réalisme. En vous lisant, nous avons le sentiment que vous avez le souci de transmettre par le roman tout un imaginaire de notre passé.

Exactement, je voudrais autant que faire se peut transmettre un certain message réaliste comme vous dites, peut-être un tant soit peu idéalisé, mais il serait temps, du moins à mon humble avis de sortir de ce sentier battu, de ces image d’Epinal qu’on se fait par méconnaissance des valeurs humaines, culturelles que véhiculait notre société, faire connaitre ce vécu qui n’était pas toujours rose, mais aussi cet optimisme pour des lendemains meilleurs, cette ténacité à affronter l’adversité d’où qu’elle provient, un vivre ensemble malgré tous ces défauts propres à l’homme et à tous les villages de l’univers.

Etre fier de soi, de son origine, ne surtout plus entendre certains de nos jeunes se vanter d’être pris lors de leurs séjours à l’étranger pour des italiens en général, c’est démentiel que d’avoir honte de soi, de ses origines.

Le Matindz : L’exil, la société kabyle, la lutte pour l’indépendance, l’amour. Ne croyez-vous pas que la Révolution a déstabilisé la société ?

Et comment !? Incontestablement et de quelle manière, la Kabylie comme tout le monde sait a payé un lourd tribut pour arracher l’indépendance du pays, non seulement en pertes humaines qui furent très lourdes, mais surtout par toutes sortes d’humiliations de cet honorable homme roi, guide et protecteur des siens.

L’armée française, en s’attaquant particulièrement et intentionnellement à la femme kabyle avait souillé cette aura que fut celle de l’homme, elle l’avait avilie, trainée dans la boue du déshonneur et la femme kabyle quoique compréhensive et solidaire de son mari, père ou frère l’avait tout de même découvert.

Le roi est nu !

Le Matindz : Il est aussi question de rapports entre les hommes et les femmes, l’amour dans vos romans. Vous qui avez vécu un peu cette période pendant et avant la révolution, quel regard portez-vous sur les rapports entre les hommes et les femmes à cette époque ?

Effectivement ce qui avait d’ailleurs fait dire à une journaliste de la radio, critique littéraire ; « qu’elle est tombée amoureuse de Mohand !» ce principal personnage dans la saga Idelli, et cet ami qui me reproche de l’avoir fait pleurer en les lisant et ce vieux bâtonnier réputé franc et sévère qui m’avait juré (sic) avoir lu les quatre tome en dix jours, et qui disait à voudrait l’entendre qu’au moins toutes les bibliothèques de Kabylie doivent en posséder deux ou trois de cette saga .

Oui mes romans parlent beaucoup d’amour, somme toute naturelle en d’autres lieux, d’autres continents, mais chez nous c’était un tabou, une offense, particulièrement avant l’indépendance, avant que ne soit rétablie la vérité du terrain, celle que cette guerre avait dévoilée, dénudée et qui avait fait descendre l’homme de son piédestal.

La femme avait démontré pendant la lutte armée, qu’elle était l’égale de l’homme, de ce macho quand elle ne lui était pas supérieure par son courage et son abnégation à poursuivre la lutte avec la même détermination jusqu’à la victoire. Mes romans parlent surtout de cette injustice qui est faite à la femme même de rêver, d’aimer, à sa liberté de choisir elle aussi son compagnon, et c’était ce qu’à travers mes écrits je tente de dénoncer. Mais surtout faire triompher cette aspiration, ce droit humain sur les tabous, les convenances et autres considérations rétrogrades, car rien n’est plus beau, ni plus bon que l’amour, c’est le meilleur don que nous avons reçu de ce Dieu auquel se référent ces plénipotentiaires, ces gardiens du temple et de la vertu pour le stigmatiser, et ils en ont même fait un sacrilège, une hérésie, voire une abomination.

Observez donc la faune et la flore pendant leurs saisons d’amour cette beauté et ambiance enchanteresse qui émanent de tous ces éléments que d’ailleurs instinctivement nous ressentons aussi avec eux, pour peu qu’on soit attentif, ces nidifications des oiseaux qui ne cessent de chanter, roucouler et de se câliner à leurs façons, et bien sûr aussi ces bourgeonnements de la flore etc.

Quand on aime la terre et qu’on la laboure, bichonne, elle vous sourit, elle vous nourrit, ce qui est valable aussi pour la faune, car pas aussi ingrates que l’homme. Prétentieusement aussi, je pense que je suis plus proche de ces éléments que de tous ces censeurs du bonheur d’aimer, et de tous ces émissaires de la sinistrose et du désespoir.

Le Matindz : Vous avez vécu l’indépendance et l’un de vos romans, Le Défi, en parle. Quel témoignage en gardez-vous ?

La fin de la guerre, disant d’indépendance, c’était une euphorie indescriptible tant par la joie de la paix retrouvée, la fin d’un cauchemar, comme d’ailleurs décrit dans le roman, mais paradoxalement aussi un moment de tristesse et de désespoir pour ceux qui leurrés par certains mythomanes à la recherche d’une réputation, d’une gloriole, espèrent toujours voir leurs chers disparus poussaient les portes de leurs maisons.

C’était aussi la victoire de la femme, pour la première fois qui exprime publiquement et librement sa joie dans la rue, dans les villages à travers des défilés à ne plus en finir, dans des chorales, des sketches, enfin elle existe, elle a vaincu avec l’homme, mais aussi l’homme.

Et puis viendront un peu plus tard des déceptions par ceux-là mêmes que le peuple a magnifiés, voire même mythifié, qui pour des ambitions démesurées vont même jusqu’à assassiner leurs compagnons de la veille, ils ont même failli replonger le pays dans une guerre civile. Nous fumes aussi et longtemps l’objet d’admiration de tous les peuples du monde pour avoir vaincu par seulement notre courage et ténacité la quatrième puissance mondiale de l’époque, et qui se trouvait être à deux heures d’avion d’Alger.

Pour garder l’Algérie la France avait été obligée d’accorder des indépendances et autres autonomies à ses autres colonies, nous pouvons affirmer sans rougir que nous étions à l’origine de la libération du continent africain sous domination française.

Alger était au lendemain de l’indépendance la capitale des révolutionnaires du monde entier, des artistes engagés, des sommités des arts, des lettres et de la culture séjournaient des fois presqu’en permanence chez nous, tels le Che Guevara, le général Giap, Miriam Makeba, Joan Baez pour ne citer que ceux-là.

Entretien réalisé par Hamid Arab

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