Iran : les aveux d’un ancien chef des services de renseignements sur les massacres politiques

Le Matin 13-08-2017 15135

Iran : les aveux d’un ancien chef des services de renseignements sur les massacres politiques
L'ayatollah Hossein-Ali Montazeri

Il y a 29 ans, le régime de Khomeiny organisa au cours de l’été 1988, notamment aux mois de juillet et août, la mise à mort de plus de 30.000 opposants détenus dans les prisons iraniennes. La plupart des suppliciés étaient des membres et sympathisants de l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI) parmi lesquels des grand mères de 70 ans et des fillettes de 13 ans.

Cet horrible massacre "de grande amplitude et unique dans son genre*" est considéré par certaines organisations telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch comme un crime contre l’humanité.

Cette page noire de l’histoire de l’Iran avait été soigneusement gardée à l’écart de l’opinion par les autorités jusqu’à la diffusion le 9 août dernier, d'un enregistrement audio de l’ayatollah Hossein-Ali Montazeri, le successeur désigné de Khomeiny, par le fils de Montazeri sur les réseaux sociaux. Il s’agit des échanges, le 15 août 1988, en plein épisode du massacre, entre l’ayatollah Montazeri et les trois membres de la «commission de la mort" mandatée par Khomeiny d’exécuter sommairement tous ceux qui d’après lui sont "en guerre contre Dieu". On y entend Montazeri protester contre le massacre des opposants emprisonnés commencé quelques semaines plutôt en application de la fatwa** de Khomeiny, et les mettre en garde : "Le crime le plus important commis sous la République islamique et pour lequel nous serons condamnés par l’Histoire, c’est vous qui l’avez commis et c’est pourquoi l’Histoire enregistrera vos noms en tant que criminels (…) Dans 50 ans, Khomeiny sera jugé comme une figure sanguinaire et cruelle".

La révélation du contenu de cette bande sonore a secoué la société iranienne provoquant des ondes de choque sans précédent allant jusqu’au sommet de la théocratie au pouvoir.

Elle a ravivé la douleur des familles et des proches des victimes ; elle a informé ceux qui ignoraient ce crime hideux, en particulier la jeune génération iranienne et elle a délié les langues, une pluie de témoignages a alors envahis les réseaux sociaux. Dès lors, un "Mouvement réclamant justice pour les victimes du massacre" - Justice for the Victims of 1988 Massacre in Iran (JVMI) https://iran1988.org/ - est né et malgré moins d’un an d’existence, ne cesse de prendre de l’ampleur.

L’accélération et la montée rapides du (JVMI) à l’intérieur comme à extérieur de l’Iran a fortement embarrassé et contraint les sbires et nervis du régime à réagir et même à tenir des propos étonnants, parfois contradictoires. Des non-dits gardés en secret depuis près de 30 ans, sont révélés par les commanditaires et exécutants de cet acte génocidaire envers des dizaines de milliers des prisonniers de conscience déjà « jugés » et qui purgeaient leurs peines de prison, démontrent l’esprit barbare du fascisme religieux au pouvoir d’une part, et l’innocence des victimes, captives sans défense de la dictature du « Guide suprême », d’autre part. Certains responsables politiques de l’époque ont tenté de se laver les mains de cette horreur, mais certains d’autres ont été contraints de reconnaître la réalité de ce crime indescriptible, voire le justifier.

Aveux choquants, le cynisme d’un criminel

Dans une interview avec Aparat Internet TV - une chaîne appartenant à des factions du régime - diffusée mi-juillet, Ali Fallahian, ancien ministre du Renseignement du régime (1988 -1997) souligne la responsabilité de la personne de Khomeiny ordonnant ce massacre et défend sa fatwa qui déclencha le massacre. Ses propos inédits et malséants ont soulevé un tollé général et une profonde indignation sur les réseaux sociaux aussi bien à l’intérieur de l’Iran que parmi la diaspora.

L’ex-ministre du sinistre Vevak*** explique avec impudence et sur un ton insolent, teinté d’un cynisme difficilement soutenable par les survivants : "L’imam (Khomeiny) avait déclaré que la sentence à l’égard les membres de l’OMPI et tous les groupes mohareb (ennemis de Dieu) était la mort... M. Moussavi (Tabrizi), procureur général de la révolution à l’époque, avait l’habitude de dire que selon les directives claires de l’imam, il n’y avait pas besoin de procès légaux (concernant ces opposants à la dictature) du tout... L’imam a insisté à ce qu’ils ne soient pas épargnés... La peine de mort a toujours été son verdict en tant que Guide suprême, aussi bien avant l’affaire de 1988, qu’après".

Lors de cette interview, Fallahian reconnait que la plupart des prisonniers, même ceux qui avaient déjà purgé leurs peines, avaient été exécutés pour le seul motif d’avoir distribué des tracts politiques ou pour avoir fourni des approvisionnements en nourriture ou autres nécessités aux membres de la Résistance, entrés en clandestinité. Il affirme avec une certaine cruauté dans le ton : "Quand quelqu'un, armé ou non, est membre d'un groupe d’opposition armé... même s’il n’est pas armé lui-même, s’il sort acheter du pain ou autre chose [pour les résistants] et qu’il est arrêté ... il fait finalement partie d’ eux".

Il est à noter qu’Ali Fallahian se trouve en haut de la liste d’Interpol sous un mandat de notice rouge – les personnes les plus recherchées - depuis novembre 2007 pour son implication directe dans l’attentat meurtrier de l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA) à Buenos Aires, qui avait fait 85 morts et plus de 230 blessés en 1994.

Son nom est également lié aux «assassinats en série» à la fin des années 90 en Iran sous la présidence de Mohammad Khatami. Plus de 80 intellectuels et dissidents iraniens ont été assassinés, souvent d’une manière atroce, par les agents des services de renseignements dirigés par Ali Fallahian.

Enfin, dans ses récents propos scandaleux, Fallahian avoue que "Des agents de ministère du Renseignement du régime iranien opèrent à l’intérieur et à l’étranger sous le couvert de journalistes et d’hommes d’affaires".

Simin Nouri

Simin Nouri est présidente de l’Association des femmes iraniennes en France. Elle milite au sein du Comité de soutien aux droits de l’homme en Iran (CSDHI). Elle est co-auteur du livre "Où va l'Iran ? Regards croisés sur le régime et ses enjeux d'influence", éditions Autrement mai 2017.

Notes

*Me William Bourdon : "L'insolente impunité dont jouissent les auteurs de ces crimes doit cesser. Car ces derniers continuent de détenir des postes clés au sein du régime iranien. Il y a une culture de la terreur qui s'est installée de ce fait et qui doit être combattue. Une culture qui fait qu’aujourd’hui on continu de pendre à grande échelle dans un pays qui détient le record mondiale d’exécution par tête d’habitant". Il faut la mise sur pied d’«un tribunal ad hoc par une juridiction pénale internationale pour répondre à l'exigence des victimes du massacre de 1988 en Iran. Il faut que la lumière soit faite sur ce crime contre l'humanité de grande amplitude et unique dans son genre".

** Extrait de la fatwa de Khomeiny : "Tous ceux qui sont emprisonnés à travers le pays et qui persistent dans leur hypocrisie sont condamnés à mort car ils sont en guerre contre Dieu. Il serait naïf d'être clément à l'égard de ceux qui ont déclaré la guerre contre Dieu. L'intransigeance de l'Islam à l'égard des ennemies de Dieu fait partie des principes intangibles du régime islamique. J'espère que votre colère et votre haine révolutionnaire contre les ennemis de l'islam produiront la satisfaction de Dieu. Que les Messieurs chargés de prendre les décisions ne fassent preuve d’aucune hésitation, ni doutes, ni atermoiement. Ils doivent s'efforcer à réprimer les mécréants avec la plus grande violence."

***Vevak : Le ministère iranien des Renseignements et de la Sécurité nationale

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