La gouvernance de l’eau à…vau-l'eau !

Le Matin 02-08-2017 11611

La gouvernance de l’eau à…vau-l'eau !
Le barrage de Taksebt.

Les inquiétudes planant actuellement sur la disponibilité en eau font remonter à la surface la hantise des années de disette, comme elles ont aussi amené les pouvoirs publics à fournir des "éclaircissements" quant aux réserves disponibles en cette matière précieuse et au niveau d'autonomie du pays.

L'est du pays semble sérieusement frappé par le déficit hydrique. En Kabylie, des villageois en arrivent à dresser des barricades sur les routes ou à fermer la mairie ou l'agence de distribution (ADE), en raison d'un rationnement sévère, mais qui demeure, officiellement, non annoncé.

Indubitablement, les principaux indicateurs en matière de production et de consommation d’eau, sont en nette amélioration par rapport à ce qu’elle était au début des années 2000. Cependant, les besoins ont, entre-temps, décuplé, avec une population de 41 millions d'habitants et un niveau d'exigence plus important, sans compter les déperditions de cette précieuse matière en cours de route (fuites) et le gaspillage qui l'affecte.

Des indicateurs satisfaisants, mais…

On apprend, dans le tableau des indicateurs établi en 2016 par le ministère des Ressources en eau, que la dotation moyenne journalière est de 180 litres par habitant. Actuellement, 38% des foyers algériens ont de l’eau H/24; 37% des foyers sont servis 10 heures par jour, et 25%, un jour sur deux. Le taux de raccordement national moyen au réseau d’AEP est de 98%, avec la précision que le taux de raccordement en urbain est de 100%.

L’Algérie dispose de 75 barrages hydrauliques, dont 65 sont en exploitation et raccordés, avec une capacité de stockage de 6,87 milliards de m3. Le taux moyen de remplissage des barrages, au mois de mai dernier, était de 70 %. On peut considérer qu'après deux mois (juin-juillet), caractérisés par un climat caniculaire et sans apport pluviométrique, ce taux ait baissé au moins à 60 %.

Avec les autres ressources (souterraines et de dessalement), le volume mobilisable est de 8,07 milliards de m3. Les infrastructures de dessalement d’eau de mer comptent 13 stations, avec une capacité totale de 2,31 millions de m3/jour. Quant au taux de raccordement au réseau d’assainissement, il est évalué à 90%. Cependant, le nombre de stations d’épuration en service, à savoir 171 au niveau national, est loin de correspondre au volume des effluents en eaux usées. Une grande partie des eaux usées se déverse encore dans la nature.

De la "lubie" de l'importation de l'eau à une politique plus imaginative

A intervalles quasi réguliers, la question de la disponibilité de l’eau - aussi bien pour l’usage domestique que pour l’agriculture et l’industrie - revient sur le devant de la scène nationale. Cependant, les termes du débat semblent avoir beaucoup évolué depuis le milieu des années 2000. La sécheresse historique de l’année 2002 - qui n’a pas eu son équivalent pendant plus d’un siècle - avait introduit un traitement de "choc" sur le plan de la réflexion relative à la manière de satisfaire les besoins d’une population de 32 millions d'habitants à l’époque. La panique avait même poussé des gestionnaires du département des ressources en eau à imaginer des solutions que l’on peut qualifier aujourd’hui de fantaisistes, à savoir l’importation par bateaux-citernes de l’eau à partir de Marseille. Mais, il n’y avait pas que la panique dans ce genre de lubie. Il y avait aussi cette propension à verser dans la facilité dès que l’argent du pétrole le permet. Mais une facilité qui n’était pas du tout une solution, vu l’énorme volume des besoins.

Dans le cadre des plans de développement initiés à la même période, on a pu, dès le retour des pluies en 2003, dépasser cette idée farfelue, pour inscrire la problématique de l’eau dans le grand ensemble du développement économique du pays. Et c’est ainsi qu’une série de barrages hydrauliques ont été conçus et réalisés (entre autres : Taksebt à Tizi Ouzou; Beni Haroun à Mila; Tilesdit et Koudiat Acerdoune à Bouira), suivis de grands transferts (Mostagnem-Arzew-Oran (MAO), In Salah-Tamanrasset et les transferts actuellement en réalisation dans les wilayas de l’Est à partir de Beni Haroun).

Les problèmes se sont déplacés

A la récupération des eaux de surface, s’est greffée l’idée d’installation d'unités de dessalement de l’eau de mer. Ce programme porte sur 13 unités réparties sur la côte algérienne, avec une capacité de production de 2,31 millions de m3/jour, soit 500 millions de m3 par année (presque l’équivalent de la moitié du barrage de Beni Haroun, qui, lui, a une capacité de 960 millions m3).

Si les termes du débat ne sont plus les mêmes, c’est parce que les problèmes se sont déplacés et ont presque changé de nature. La mobilisation "brute" de l’eau, sous toutes ses formes, a enregistré des avancées remarquables. Rien qu’au cours des deux derniers plans quinquennaux (entre 2005 et 2014), l’Algérie a consenti 40 milliards de dollars d’investissements.

Le manque de précipitation que vit l’Algérie depuis la fin 2015 ne manque pas de charrier des interrogations, non seulement au sujet de la production agricole, mais également, à tort ou à raison, au sujet l’approvisionnement domestique des foyers.

Assurances mesurées

Aux constats faits par de simples citoyens et fortement répercutés par la presse, le ministère des Ressources en eau n’a pas cessé de répondre par des assurances… mesurées. Le département en question s'est employé à démentir régulièrement la rumeur qui court, depuis au moins trois ans, au sujet de l’éventuelle augmentation du prix du mètre cube d’eau.

Faisant partie des produits subventionnés par l’Etat, l’eau aura donc gardé son soutien, ce à quoi le gaspillage constaté dans la gestion de cette matière précieuse n’est pas totalement étranger.

S'agissant des réserves mobilisées, l'administration a, à plusieurs reprises, fait état d'un stock d’eau qui peut assurer au pays une autonomie de deux ans. Par ailleurs, le gouvernement ne cache pas une certaine inquiétude relative au segment de l’agriculture. Car, les périmètres irrigués en Algérie ne dépassent guère 1,5 million d’hectares, formés majoritairement de cultures maraîchères. Autrement dit, la principale ressource alimentaire des Algériens, à savoir les céréales, est conduite quasi exclusivement en sec.

Multiples aléas

Outre cette préoccupation majeure, la mobilisation de l’eau en Algérie - avec des investissements historiques qui ont porté sur la construction de barrages, l’installation de stations de dessalement d’eau de mer et l’exploitation des nappes souterraines - souffre encore de beaucoup d’aléas qui ont pour noms: la qualité technique discutable de certaines adductions, les fuites d’eau (qui représentent 40% du volume lâché dans les réseaux), le gaspillage (tant que le prix reste figé avec un soutien de l’Etat qui profite aux grands consommateurs/gaspilleurs), la durabilité des installations (particulièrement les équipements des stations monoblocs, à corrosion rapide par le sel marin), le déficit flagrant de protection des bassins versants de barrages hydrauliques. Certains barrages qui se sont remplis - complètement ou partiellement - à la faveur des pluies de janvier-février 2017, donnent une situation faussée des volumes d’eau stockés, car une partie de l’ouvrage est remplie plutôt par la vase. La protection des bassins versant demeure une entreprise complexe, du fait que, majoritairement, ils sont situés sur des terrains de statut juridique privé. Les actions programmées par les services de l'Etat- principalement l'administration des forêts-butent imparablement sur cette donnée, qui ne permet pas d'aller au-delà d'une infime superficie traitée contre l'érosion.

L'adhésion des populations aux programmes de protection des bassins versants demeure tributaire de la promotion d'une politique de développement rural qui aille au-devant des besoins réels des ménages en matière de création de richesses et d'emplois.

Amar Naït Messaoud

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