Peut-on encore sauver l’Algérie ?

Le Matin 24-07-2017 67660

Peut-on encore sauver l’Algérie ?
Ould Kaddour, un ancien condamné et fusible, possédant la "double nationalité", à la tête de la très stratégique Sonatrach

Mohamed Boudiaf, l’un des pères de la révolution algérienne, a été assassiné le 29 juin 1992 parce qu’il voulait s’attaquer à la corruption de généraux véreux. Cette exécution sur une scène, devant un auditoire où d’importants officiels brillaient par leur absence, a été diffusée en direct à la télévision dans des millions de foyers comme pour intimider tout un peuple et marquer son inconscient collectif par la terreur. Depuis, l’Algérie est tombée sous le joug d’une voyoucratie qui a utilisé la corruption et l’arbitraire pour provoquer la déliquescence de l’Etat et de ses institutions.

Terreur, provocation, humiliation et propagande sont devenues les outils préférés d’une cabale dont les tentacules ont investi massivement tous les moyens modernes d’endoctrinement et de contrôle de l’opinion publique. Les lois sont bafouées quotidiennement par un appareil judiciaire à la botte de l’exécutif. Les postes de responsabilité sont attribués à des personnes sans mérites, voire même à des repris de justice, une autre forme provocation pour humilier les citoyens. Hélas, la majorité des Algériens a choisi de "ne rien voir", "ne rien entendre" et "ne rien dire". Ceux qui lèvent la tête et rejettent le discours officiel sont embastillés sans jugement. En Algérie, personne ne réagit quand des jeunes s’immolent ou lorsque des journalistes meurent en prison.

En 1999, le pouvoir invisible, appâté par l’argent facile de la corruption et obnubilé par sa volonté d’instaurer un califat, a confié la régence du pays à un homme politique condamné en 1983 par la Cour des comptes. Ce personnage a eu, durant ses quatre mandats, tout le temps de mener à bien, dans la continuité, de nombreuses actions de sabotage sur le long terme dont les conséquences sont pour la plupart irréversibles. Ce programme de longue haleine effectué au détriment des intérêts nationaux est pratiquement achevé aujourd’hui. On rappelle ci-après les trois grands axes de sa feuille de route:

  • La déliquescence du secteur de l’éducation qui va brider la qualité de la relève de nos ressources humaines sous le dogme de l’arabisation totale et nous condamner à l’assistanat étranger dans un premier temps (opération en cours), puis à quémander l’aumône aux émirs du Golfe (comme le Maroc ou l’Egypte) ;

  • La destruction de l’économie nationale alors que le pays a bénéficié d’une manne pétrolière de 800 milliards $ ;

  • Le sabordage du secteur de l’énergie, chasse-gardée du Président, qui va priver le pays de sa capacité de financement et menacer sa sécurité énergétique. On connaît les résultats de la bataille du sérail autour du management de Sonatrach qui a commencé en janvier 2010 par la "décapitation judiciaire" du Comité exécutif de Sonatrach pour "association de malfaiteurs et détournement de fonds publics" et qui s’est achevée par le verdict de février 2016, soit un mois avant le retour triomphal du principal coupable qui n’a été inquiété ni par la justice algérienne, ni par le parquet de Milan malgré les preuves accablantes.

Cette démarche politique et économique suicidaire, sans aucune vision de long terme, n’a inquiété ni les acteurs algériens de la société civile, ni les organes de sécurité à qui on a fait croire que la rente des hydrocarbures sera au rendez-vous jusqu’en 2030, voire 2040.

Même les Baltaguiya alliés au clan d’Oujda ne comprennent pas cette politique autodestructrice car personne ne leur explique pourquoi le commandant du navire (qui ne peut ni se mouvoir, ni parler, ni recevoir) maintient le cap vers une zone de tempête en faisant régulièrement escale pour renouveler son équipage. Sur le pont supérieur, les "gardiens du temple"de la grande muette fument leurs cigares et scrutent l’horizon, satisfaits de l’opération de "décervelage" du peuple qui facilite l’atteinte de leurs objectifs idéologiques et maintient la paix sociale. Même eux ne savent pas encore que la mission secrète du commandant, malgré son incapacité physique, est de les faire couler avec le navire après son départ devenu imminent.

La crise financière liée à la baisse des prix du pétrole est venue créer une situation nouvelle qui a bousculé la campagne d’endormissement du peuple. L’arbitrage du partage de la rente entre les alliés et la pègre se gère au jour le jour car le gâteau ne suffit plus à nourrir tout ce beau monde. Le FMI prédit "une crise lancinante et dangereuse" dans 19 mois lorsque les réserves de change vont se tarir.

Le dernier exploit de Bouteflika, une mission théoriquement impossible, a consisté à imposer à la tête de Sonatrach un fidèle lieutenant de Chakib Khelil, un repris de justice de nationalité française condamné pour trahison. Cette décision, à elle seule, aurait dû convaincre les plus sceptiques sur les véritables objectifs du commandant: précipiter le navire vers les récifs.

Le 12e PDG de Sonatrach, natif de Hennaya (ville de la wilaya de Tlemcen dont sont originaires de nombreux responsables du cercle présidentiel sans oublier son ministre virtuel de l’Energie qui est tout sauf sa tutelle) s’interroge sur les perspectives de long terme. Il déclare : "Il faudrait qu’on sache qu’est-ce qu’on va devenir d’ici 2030, si on développera la pétrochimie ou si on vendra notre gaz à son état brut". Ce PDG sait parfaitement que les exportations de gaz naturel vont commencer à chuter de manière importante d’ici 05 ans et qu’on ne sera même pas en mesure de renouveler, en 2019, la totalité des contrats d’exportation de long terme pour garantir des revenus en devises. Dans dix ans, il n’y aura pas suffisamment de gaz pour subvenir aux besoins de nos centrales électriques.

De nombreux observateurs se demandent pourquoi l'Algérie a choisi de céder une importante partie de sa rente gazière à des partenaires étrangers douteux (Vilar Mir, Sawiris, Bahwan, X) à travers de nouvelles usines d'exportation d'engrais qu'elle a financées par ses banques publiques. Ils ne comprennent pas non plus pourquoi l’Algérie importe à coup de milliards de dollars du carburant pour les contrebandiers.

C’est le ministre italien du Développement économique qui a "vendu la mèche" en déclarant au mois d'avril 2017: "En 2019, le contrat algéro-italien d’approvisionnement par gazoduc va expirer, les volumes de notre fournisseur clé vont, en tout cas, s’effondrer pour plusieurs raisons, dont l’augmentation de la demande locale (algérienne)". Ce ministre nous informe que l'Algérie ne pourra plus s'engager sur des ventes à long terme de gaz naturel (ce que le clan d’Oujda sait depuis bien longtemps).

Suite à la bérézina des élections législatives, Bouteflika fait appel à un nouvel équipage et se prépare à donner en pâture les fusibles "recrutés" pour leur impopularité, une façon comme une autre de gagner du temps jusqu’à l’épuisement final des réserves de change.

Alors peut-on encore sauver notre pays ?

Le défi majeur de l’Algérie, c’est l’instauration d’une démocratie véritable et le recours à un modèle économique qui nous permettrait de gérer l’après-pétrole. C’est l’œuvre d’au moins une génération.

Les recommandations en ce sens relèvent du bon sens: il faut récupérer l’école et former des ressources humaines compétentes, rétablir la justice, promouvoir notre potentiel agricole, encourager le développement d’industries stratégiques et des services créateurs d’emplois et de valeurs ajoutées et surtout, redonner l’espoir à nos jeunes. Mais pour que tout cela se réalise sans violence, il y a un prix à payer que le peuple va exiger avant d’accepter de se serrer la ceinture: il faut lui rendre justice en faisant la lumière sur tous les scandales et les actes de corruption et de trahison du clan présidentiel et de leurs complices cachés derrière le rideau. Les crimes de corruption sont imprescriptibles et régis par des accords internationaux. Il faudra juger et condamner ces criminels pour pouvoir saisir leurs biens et rapatrier les centaines de milliards de dollars qui ont été volés.

En conclusion, il faut reformuler la question différemment: l’Algérie ne devra-t-elle pas trouver rapidement un nouveau guide intègre qui redonnera de l’espoir au peuple et fera l’économie d’une autre décennie noire ou devra-t-elle attendre que l’anarchie et la guerre civile s’installent durablement à l’épuisement des réserves de change en 2019 ?

Sid Kaci

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