Le ministre stagiaire et la Gestapo news Par Mohamed Benchicou

Le Matin 13-06-2017 41911

Le ministre stagiaire et la Gestapo news Par Mohamed Benchicou
Djamel Kaouane.

A quoi sert un ministre de la Communication ? Dans un régime démocratique, à communiquer. Dans un régime autocratique comme le nôtre, à embrouiller. Le bon ministre de la Communication veille à ce que l'image du maître ne soit jamais altérée. Il est la courroie de transmission des mensonges d'Etat, des contre-vérités et des simulacres. Il crée les diversions indispensables aux intimités de la Cour, il allume les contre-feux, parle beaucoup vertu et d'éthique, utilise les mots ronflants pour décrire ses projets, affecte de s'émouvoir ou de s'indigner.

Le précédent ministre de la Communication savait faire tout cela. Le ci-devant Hamid Grine a beaucoup parlé de "grand ménage dans la presse privée", de revoir les conditions d’attribution de la publicité publique à la presse, de changement de stratégie com’ du pays et n'a pas oublié de verser des larmes sur "nombre de journalistes en pré-retraite ou en retraite qui sont pauvres", annonçant une "réflexion pour venir en aide dignement à ces journalistes... Aucune de ces généreuses intentions n'a vu le jour, mais l'essentiel, n'est-ce pas, est d'avoir laissé croire qu'on avait un projet.

Le nouveau ministre de la Communication, Djamel Kaouane, met ses pas dans ceux qui l'ont précédés, et nous apprend qu'il compte débusquer les usurpateurs parmi les journalistes qui ont reçu ou qui comptent recevoir leur carte professionnelle. Je me rappelle de ce jeune homme très discret qui débutait comme stagiaire dans El-Moudjahid et qui affichait un certain talent pour le métier. Le voilà ministre, inaugurant sa carrière gouvernementale par un curieux braconnage : la chasse aux journalistes imposteurs ! On s'étonnera que la carte professionnelle, objet de tant de débats et de séminaires, distribuée sous le haut patronage de l'Etat, puisse échouer entre les mains de charlatans. Mais dans un pays qui a connu les magistrats et les moudjahidine faussaires, il y a forcément une place pour les journalistes faussaires.

Là où le mandat de député se vend ouvertement au plus offrant, rien n'interdit de monnayer une carte de journaliste. Mais mon ex-confrère connaît tout cela. Il n'ignore pas qui sont les faux journalistes, les vrais-faux journalistes, ceux que le pouvoir a fabriqués, élevés, nourris, enrichis pour lui servir de nervis et réguler l’information à son profit. Ces petits et grands supplétifs sont aujourd'hui à la tête de chaînes de télévision privées et de journaux, prospérant à l'ombre du pouvoir, s'adonnant à la désinformation et au bourrage de crânes, ce que Noam Chomsky appelle "la fabrication du consentement". Ils oeuvrent au maintien du système en place et de l’ordre établi. Ces chaînes et ces journaux sont connus, leurs propriétaires aussi. Les faux journalistes se trouvent là, M. le ministre, dans la presse baltaguia que le système a instituée, la Gestapo news qui, à l’image de la Gestapo française qui en faisait plus que ce qui lui était demandé par les Allemands nazis, redouble de servilité et de duplicité. Voilà les vrais-faux journalistes, M. le ministre ! Vous les connaissez bien, comme le ci-devant Hamid Grine les connaissait parfaitement puisque c'est dans ces cercles que se recrutent les mandarins et...les ministres de la Communication.

Les faux journalistes sont ceux que votre système a fabriqués. Le baltagui, dans le langage égyptien, est un homme de main recruté par le pouvoir, parmi les délinquants, les criminels et les petites frappes, pour contrecarrer toute contestation sociale ou politique. Dans les dictatures arabes, les baltaguis sont utilisés pour épauler les forces de police lors de missions où la violence est requise ou pour des besognes plus classiques : bourrage d’urnes, agression d’opposants ou de manifestants... En Algérie, ces troupes ont été lâchées contre les manifestants du Printemps noir, puis contre les grévistes qui protestaient sur la place des Martyrs, contre la marche des chômeurs ou contre l'opposition qui revendiquait le départ du président Bouteflika, durant le "Printemps arabe".

Le baltagui n’est pas forcément un voyou drogué tenant à la main un sabre ou un poignard. Il peut porter costume-cravate, diriger un journal ou une chaîne de télévision, être parfaitement pieux, s’acquitter de ses devoirs envers Dieu et sa famille, rentrer chez lui chaque soir retrouver ses enfants, les aider à faire leurs devoirs et les sortir le week-end. Un monsieur Tout-le-monde qui a accepté de réduire sa profession de journaliste à une besogne de supplétif propagandiste ou désinformateur, selon les besoins du pouvoir.

Bien entendu, dans ce système fermé, il n'y a pas de place pour les contestataires ou pour les fortes têtes. C'est pourquoi le prédécesseur de M. Kaouane a dû enfiler la tenue de combat pour empêcher la vente d'El-Khabar à l'homme d'affaires Issad Rebrab et qu'il a obtenu la fermeture de la chaîne El-Khabar TV. Mais tout cela, vous le savez, M. le ministre, puisque l'argent qui sert à rémunérer la servilité des uns, le silence des autres et la complicité de certains, cet argent, l'argent de l'ANEP, c'était vous qui le gériez !

Selon les directives qui vous parvenaient, vous fournissiez jusqu'à 15 pages de publicité par jour à des canards boîteux mais membres du harem et aucune à des titres lus mais que le système n'aime pas. Vous savez qu'il y a des éditeurs qui ne se donnent même pas la peine d’aller chercher leurs journaux de l’imprimerie, leur fortune étant assurée par le nombre de placards que l'ANEP a eu la bonté de leur a alloués. Ces éditeurs sont connus sur la place et ce sont eux les faux journalistes ! Ils ont pignon sur rue et ont bénéficié de votre soutien ou, tout au moins, de votre silence.

Ainsi est la presse aujourd’hui : dépendante de l’argent de l’ANEP, qui est un peu de l'argent sale, l'argent extorqué à des institutions publiques et à des entreprises d'État forcées de payer rubis sur l'ongle des placards publicitaires dans des journaux qu’ils n’ont pas choisis, que personne ne lit, un peu à la manière de Don Fanucci, le racketteur membre de "La Main Noire" raconté par le film "Le parrain", qui extorquait des paiements de protection aux commerçants du quartier. C'est ce qu'on appelle le Pizzo dans le jargon mafieux, une somme d'argent extorquée aux entrepreneurs et aux commerçants en échange de la protection.

Cela dit, cher ex-confrère, M. le ministre, bonne route !

M. B.

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