Mohamed Boudia : le document classé "confidentiel" suisse (II)

Le Matin 28-05-2017 28169

Mohamed Boudia : le document classé "confidentiel" suisse (II)
La voiture de Mohamed Boudia soufflée par l'explosion d'une bombe.

Au cœur de l’Europe, les Suisses viennent de révéler un document officiel, intitulé : "Le Terrorisme palestinien : Genève, Vienne, Paris comme points d’appui".

La documentation suisse : pas très neutres les Helvètes

Il émane des Services de la documentation diplomatique helvétique et considère que la Suisse a été une plaque tournante pour les mouvements palestiniens et donc, un pays visé par ce qu’ils nomment le "terrorisme arabe". Le document en question a été publié par le Département Fédéral des Affaires Etrangères (DFAE), indexé 39519 en langue alémanique et frappé du sceau de Confidentiel. Une enquête fédérale et minutieuse du Procureur fédéral sur la présence arabe et palestinienne en Suisse, dont Genève est considérée comme une des plaques tournantes pour les organisations palestiniennes. A la différence de la France, la Suisse n’a jamais passé d’accord, direct ou indirect, avec les représentants des organisations palestiniennes sur la présence ou agissements des individus ou groupes palestiniens sur son territoire. La France pour sa part, est passée pour un model européen à travers sa politique d’ouverture sur le Monde arabe.

En Suisse, les Helvétiques en s’enfermant dans la politique de la neutralité positive, ne pouvaient qu’accepter sur le territoire que des représentations d’Etats officiellement membres de l’Onu. C’est ainsi que la Ligue arabe se trouve représentée par M. Amin Daoud Barakat, né le 13 mai 1942 à Jérusalem (Al-Kods) et de nationalité jordanienne. Marié à Monika Schrabbeck, une Allemande de l’ouest, Barakat était aussi représentant du Fatah en Allemagne (RFA). Il est cité, dans le document, comme premier responsable de la relation avec les groupes d’extrême-gauche et même de droite suisses et palestiniens, en liaison avec le Centre d’Information des Mouvements de Libération (CIML) et dont Anne-Marie Bollier (né le 30 avril 1947 à Sion, Zurich) fut la dynamique militante suisse pour le soutien à la cause palestinienne. Le Document évoque la mission de la Ligue arabe à Genève comme un lieu de soutien aux groupes de sympathisants suisses à la cause palestinienne, qui se présentent comme un contrepoids à la propagande "israélienne". Ceci, estime le document pour la partie visible de l’action, mais dans l’ombre, on évoque un autre type de soutien logistique et humain pour des militants palestiniens se déplaçant ou transitant en/par la Suisse pour des opérations antisionistes. C'est le cas pour l’opération palestinienne contre le camp de transit des juifs d’Union Soviétique et des pays de l’Est, au château de Schonau, situé à 46 km au sud de Vienne (Autriche). Opération qui sera reportée par l’OSN, pour des raisons logistiques après avoir recueilli toutes les informations sur le passage des juifs soviétiques, de l’URSS à Vienne, via la Roumanie.

Le Mohamed Boudia du rapport fédéral

Départageant les "réseaux terroristes palestiniens" sur trois villes européennes, le Procureur fédéral considère Mohamed Boudia comme responsable parisien, de la liaison avec les groupes et éléments palestiniens, principalement le Fatah. Dans notre ouvrage, cité plus haut, nous avons pu situer le rôle réel de Mohamed Boudia et de son organisation, composée essentiellement d’Algériens du R.U.R. Les services de la police fédérale helvétique et principalement le service secret F.I.S., avaient recueilli une quantité non négligeable d’informations sur le militant algérien, grâce notamment à la présence en Suisse de Bachir Boumaza, un des opposants au régime de Houari Boumediene. Le dossier fédéral en question présente le fondateur du théâtre algérien post-indépendance politique de l’Algérie ainsi : "Il y a depuis quelque temps des indices évidents sur l’existence d’un point d’appui (base) de terroristes palestiniens à Paris. L’une ou la figure-clé du réseau parisien semble être Mohamed Boudia. Qui est Boudia ? Nos informateurs et propres connaissances nous livrent les indications suivantes." (p.21) Informateurs dans les milieux arabes et ceux de l’opposition algérienne, de même pour les services "amis" de la Suisse, aboutissent à une fiche personnelle de Boudia, qui signale : "Boudia Ali (et non Mohamed), né le 24 février 1932, à Alger, marié d’octobre 1968 à janvier 1971. Directeur du "Théâtre de l’Ouest Parisien" à Paris ; depuis aucune profession exercée connue. Dernier domicile connu : Paris, 29, rue Boinod, 4e étage (jusqu’en avril 1971). Citoyen de nationalité algérienne."

Lors de ses déplacements entre Vienne et Genève, Boudia prit les pseudonymes suivants : "Boyer Maurice André, né le 20 septembre 1931 à Avignon. - Bertin Roland, né le 16 janvier 1931 ou le 16 novembre 1930 à Paris (Détenteur du passeport français n° 387, établi le 16 juillet 1968). - Bertin Pierre, Robert, Rodrigue, Roger. - Ben Ahmed Said, né en 1935, passeport marocain N° 12479/737. - Abu Khalil. - Abu Khaled. - Betanschan." Dans le milieu des militants et sympathisants suisse de la cause palestinienne, Mohamed Boudia était connu sous le nom de Rodrigue Bertin. Le dossier indique, à la partie consacrée à sa formation professionnelle, que Boudia : "Après l’école primaire, cours au Centre Régional d’Arts Dramatique » à Alger. 1953 – 55, service militaire français ; d’abord à Alger, puis à Dijon. Finit son service en tant que Sergent attesté. 1955 – 1957, acteur de scène pour les chaines arabes de l’ORTF à Paris. Actif en même temps au sein d’une troupe algérienne de théâtre de la région parisienne" (p.22). Sur son activité au sein de la résistance nationaliste algérienne, le Document est un peu plus explicite que certaines informations jusque-là recensées.

On mentionne que son adhésion à la lutte de libération, date du début de 1957 en devenant très vite "directeur" de cellule à Paris. "En mars, muté en tant que chef de la première région vers Marseille. Il avait sous ses ordres 3000 hommes. Apparaît comme collecteur de fonds, chef de groupe de Choc, "tueur", homme de liaison de l’organisation secrète du FLN, et négociateur, éventuellement connut comme étant entremetteur. Fut arrêté le 9 septembre 1958 à Marseille. A son domicile furent trouvés des armes, et autres éléments compromettants. Le 20 mai 1960, il fut condamné à 20 ans de travaux forcés pour haute trahison et complicité. Il put s’évader de prison le 10 septembre 1961 et resta fugitif." (p.22)

"FLN secret"

A l’indépendance politique de l’Algérie, Boudia fut nommé "Administrateur général des théâtres nationaux" par le gouvernement de Ben Bella, tout en étant membre du bureau politique du FLN et membre de la Commission culturelle du parti. Le Document considère Boudia comme "ami personnel de Ben Bella". Après le 19 juin 1965, Boudia resta quelque temps à la tête du "Théâtre national algérien". Il fut directeur de l’Opéra d’Alger, précise le Document. "Des armes ont été retrouvées dans les locaux de cet opéra. Sur ce, Boudia quitte l’Algérie et cherche asile en France (automne 1965)", indique le rapport du Procureur fédéral. Présenté comme adversaire de Boumediene, Boudia participe à la fondation du "FLN secret" qui porte aussi le nom de "Rassemblement Unitaire des Révolutionnaires (R.U.R.)". Un groupe politique qualifié de mouvement trotskiste qui aurait donné naissance à un autre mouvement politique, "El-Mitaq". Boudia fut chargé de la rédaction de la déclaration fondatrice du mouvement. Selon le Document, Boudia défendait les thèses suivantes : "La lutte armée des Palestiniens fait partie des devoirs des révolutionnaires arabes, voire de tous les Arabes". Ou encore, "L’Etat israélien, pure invention et main droite de l’impérialisme américain, doit disparaître". Pour le Procureur fédéral suisse, Boudia est un agitateur pro-palestinien de premier ordre.

| Lire aussi: Mohamed Boudia : les manipulations médiatiques de son assassinat (I)

En novembre 1969, il aurait prit part à Genève à des assemblées de soutien à la cause palestinienne aux côtés de Boumaza Bachir (Directeur du RUR), Belkacem Krim et Ait Ahmed, et dont l’organisateur est un dénommé Ibrahim Haffid. Depuis, il se mit au service de la coordination de la lutte contre le régime de Boumediene. (p.23) Régime, dont la Cour d’Alger-Parquet général, publia sur les colonnes d’El-Moudjahid l’ordonnance par contumace, à son encontre où il est dit :

"Nous Foudil Abdelkader, président de la 4e session ordinaire du 4eme trimestre 1970 au Tribunal criminel d’Alger pour l’année 1970. Vu l’arrêt de mise en accusation rendu par la Chambre d’accusation de la Cour d’Alger le 29 juin 1970 numéro 197 portant ordonnance de prise de corps contre le nommé : Boudia Mohamed fils de Ali ben Said et de Chellel Khadoudja, né le 24 février 1932 à Alger, de nationalité algérienne, ancien directeur général du TNA, demeurant à Alger 3, rue du Petit Thouars, lettré, marié, 3 enfants, non repris de justice, en fuite (mandat d’arrêt du 16 juillet 1967), accusé d’association de malfaiteurs et tentative d’assassinat. EN FUITE Vu les réquisitoires de M. le Procureur Général en date du 9 novembre 1970. Vu l’article 317 du code (écrit "come") de procédures pénale. Attendu que cet accusé s’est soustrait par la fuite à l’action de la justice, qu’il ne s’est pas présenté dans les dix jours qui ont suivi la notification faite par la gendarmerie d’Alger-Recherches en date du 7 octobre 1970 numéro 920 et duquel il ressort que les recherches de ces agents de l’autorité sont demeurées vaines. Ordonnons que ledit Boudia Mohamed est tenu de se présenter dans un nouveau délai de 10 jours à compter de la publication de la présente ordonnance faute de quoi il sera déclaré rebelle à la loi, qu’il sera suspendu de ses droits de citoyen, que ses biens seront séquestrés pendant l’instruction de la contumace, que toute action en justice lui sera interdite pendant le même temps qu’il sera jugé malgré son absence et que toute personne est tenue d’indiquer le lieu où il se trouve."

Le "vulgaire criminel" avait déjà été condamné par le Tribunal militaire du Fort Saint-Nicolas à Marseille en 1960. Durant l’interrogatoire d’identité, les compagnons de Boudia ne font pas obstruction, mais les choses se compliquent pour le tribunal militaire quand on leur demande de communiquer les noms de leurs avocats. Me Ould Aoudia a été assassiné à Paris et Me Ben Abdellah suspendu. Mohamed Boudia s’exclame alors : "Je demande une minute de silence à la mémoire d’Ould Aoudia." Le président Perrier, rétorque : "Il n’est pas dans cette affaire. Pourquoi ne pas demander une minute de silence pour toutes les victimes de la guerre d’Algérie ?". Et Boudia de recharger : "Ould Aoudia était l’un de mes défenseurs. Sa mémoire doit être honorée." Le président du tribunal s’énerve et s’écrie : "Si les débats doivent prendre cette tournure, j’interviendrai. Je jugerai les accusés hors leur présence. Nous sommes là pour rendre la justice et non pour faire de la politique." Boudia persiste : "Nous observerons une minute de silence". Et il ordonne à ses camarades de se lever.

M. K. Assouane, Université d’Alger-2

Note :

(1) Striking Back: le massacre des Jeux olympiques de Munich de 1972 et la réponse mortelle d'Israël (2005).

(2) "Mohamed Boudia : Une œuvre inachevée", édition999, Publié le 11 mars 2017.

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