L'Université algérienne va-t-elle droit dans le mur ?

Le Matin 21-05-2017 17721

L'Université algérienne va-t-elle droit dans le mur ?
Sur le Top Shanghai des 500 premières universités du monde, le nom de l'Algérie ne figure pas, pas même à la 499e place !

Le cas de la démission peu sereine du sociologue Nacer Djabi de l'Université algérienne interpelle lourdement et résume, à lui seul, l'étrange décrépitude dans laquelle plonge l'université et l'état de déréliction dans lequel elle se trouve.

Le sociologue, bien connu sur les médias algériens, fait ses adieux à l'université en laissant un terrible constat: "L'Université algérienne n'est plus réformable et sa situation va se détériorer davantage. Les agressions contre les enseignants et la violence au sein de l'enceinte universitaire vont croître et se développer, car les conditions objectives qui y conduisent sont réunies dans la majorité des institutions. Le niveau d'instruction des étudiants et des enseignants va se dégrader davantage et les différentes formes de corruption vont prendre des dimensions industrielles".

Nacer Djabi ajoute qu'il quitte une université à "l'agonie", une institution pour laquelle "le régime applique le même traitement qu'aux entreprises industrielles: au lieu de les réformer, il les laisse mourir avant de les céder au dinar symbolique".

À l'Université algérienne, la recherche scientifique n'a pas cessé d'être entonnée à tout-va au cours de ces dix dernières années, sans que l'on sache exactement ce qu'elle représente comme impact sur l'économie nationale ni sur les nouvelles capacités et compétences dont sont censées être porteuses les universités du pays. Cette interrogation s'impose d'elle-même et se précipite à dénicher une réponse sceptique dès que l'on se met à examiner les différents classements régionaux ou internationaux réalisés pour les universités et dans lesquels on retrouve l'Université algérienne au bas de l'échelle.

Sur le Top Shanghai des 500 premières universités du monde, le nom de l'Algérie ne figure pas, pas même à la 499e place ! Elle ne jouit pas, non plus, d'un meilleur rang en Afrique et dans le monde arabe. Il est vrai que les responsables algériens, à commencer par le directeur de la recherche scientifique au ministère de l'Enseignement supérieur, a l'habitude de relativiser cette "déconvenue" et même de remettre en cause les critères de classification, lesquels, en grande partie, son basés sur les publications scientifiques dans des revues spécialisées.

Si, dans notre pays, il y a encore des compétences avérées, qui portent le souci de la pédagogie, de la transmission du savoir et du développement général de l'Université, il y a malheureusement le revers de la médaille. Au cours de ces deux dernières années, on a même eu droit à des scandales de plagiat de thèses de doctorat et d'écrits académiques qui ont affecté gravement l'image et la notoriété de l'université. Les cas les plus saillants sont ceux qui ont pris le contour d'un vrai scandale dans les universités de Khenchela et Béchar. Il est possible que d'autres cas de "copiage", permis aujourd'hui par l'Internet, puissent grever d'autres universités du pays. La découverte du "pot-aux-roses" dans ce cas spécifique prend parfois plusieurs mois, voire des années. Déjà ayant une réputation d'inefficacité, de structure budgétivore n'ayant pas de fructueuses passerelles avec le monde économique, l'Université algérienne s'enfonce davantage avec des pratiques illégales de plagiat qui risquent de discréditer à jamais cette institution supposée incarner la science et du savoir.

L'Université algérienne absente dans le classement mondial

Si, à l'échelle de l'Afrique, l'Algérie avait laborieusement arraché une place pour l'Université de Tlemcen en 2010, sur le reste des évaluations, l'Université algérienne est appelée à faire une révolution en son sein pour sortir sa tête de l'eau.

Presque deux millions d'étudiants avaient rejoint les bancs de l'Université à la rentrée 2016. C'est là une force qui représente plus de 5 % de la population globale du pays. Chaque fin d'année, l'Université "adoube" quelque 250 000 étudiants de différents diplômes supérieurs (graduation et post-graduation), et qui se retrouvent comme primo-demandeurs sur le marché du travail. On sait qu'est-ce qu'il en est, de ce marché du travail, qui a fabriqué une machine infernale, le système du pré-emploi, qui pèse lourd sur le budget de l'Etat et que les pouvoirs publics traînent aujourd'hui comme un boulet, avec ses effectifs qui s'approchent d'un million d'employés, toutes formules confondues.

Le pré-emploi, dont la dénomination elle-même prête à confusion - puisqu'elle ne répond pas à une logique d'insertion professionnelle bien étudiée - est un patent symptôme de deux échecs réunis: échec du marché de l'emploi qui n'arrive pas encore, sous le régime rentier, à acquérir maturité, flexibilité et compétitivité; et échec de l'Université qui a délivré des diplômes au rabais. Ce dernier phénomène acquiert de la visibilité, dès que le peu de capitaines d'industrie ayant démarré leurs affaires dans notre pays sollicitent des ressources humaines en cadres supérieurs ou en cadres d'exécution. Généralement, c'est la dèche. Les candidats qui se sont aventurés avec les animateurs de la nouvelle économie, peu d'entre eux arrivent à tenir le coup et à avoir des essais concluants.

La fonction publique: un "refuge" saturé

Le gouvernement, dans ses élans populistes que lui a permis jusqu'en 2014 l'embellie financière, n'avait pas hésité à hausser les effectifs de la fonction publique jusqu'à la saturation (deux millions de fonctionnaires, aujourd'hui). Il s'est voulu le "sauveur" suprême de ces étudiants qu'il a placés dans des emplois dits d'attente.

Il se trouve que, même avec de telles "libéralités", des centaines de milliers de pré-emplois continuent à ronger leur frein, attendant une solution de la part d'un gouvernement qui n'a jamais été parcimonieux en promesses. Cependant, aujourd'hui que la crise financière sonne le glas des "flambeurs", un rude face-à-face se dessine entre les pouvoirs publics et ceux qui se sont nourris de discours creux.

Depuis une dizaine d'années, presque tous les débats publics ayant trait à l'Université se sont concentrés sur tous les éléments d'intendance et de logistique, résumées dans le l'intitulé d' "Œuvres universitaires" (restauration, transport, hébergement, bourse). Lorsque, fugacement, sont abordées quelques questions pédagogiques, c'est pour critiquer ou encenser le nouveau système LMD et réclamer des équivalences (du genre DEUA/Licence).

Les programmes et le contenu pédagogique, dans leur relation obligée avec la société et le champ économique national, sont souvent relégués au second plan. Il en est de même du système d'évaluation et de la relation entre l'Université et le lycée qui lui fournit les "contingents" de la première année. Même si des chiffres alarmants sont colportés ça et là sur l'extrême faiblesse du niveau des étudiants de première année, faisant état de 50 à 70 % de redoublement de classe, aucune politique sérieuse n'est venue remédier à la situation. Il est vrai que Mme Noria Benghebrit, ministre de l'Éducation, a tenté de lancer quelques passerelles entre les trois institutions d'enseignement national (Éducation, Formation professionnelle et Enseignement supérieur). Néanmoins, les résistances rentières et idéologiques sont tellement fortes, que la ministre, tant traînée dans la fange par une presse arabophone qui réclame publiquement son départ, voit son action et ses projets le plus souvent neutralisés.

Amar Naït Messaoud

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