Le dernier témoignage de Madame veuve Abane-Dehilès

Le Matin 17-05-2017 46848

Le dernier témoignage de Madame veuve Abane-Dehilès
Madame veuve Abane-Dehilès.

"Fier de mon aînée qui était courageuse, audacieuse et battante pour l'Algérie indépendante. Il n'y a pas un jour qui passe, haute de ses 87 ans que ce soit le matin, midi ou soir lorsque je prends le café avec elle, sans qu'elle me raconte un épisode poignant de la guerre d'Algérie. Elle resta enfermée durant 03 mois à taper sur sa machine dactylographe les résolutions du congrès de la Soummam" écrit Ali Dehilès de sa maman Izza Bouzekri, connu sous le nom de Madame veuve Abane Ramdane, devenue après son mariage avec le colonel Sadek, Mme Dehilès Izza. Cette grande dame est décédée aujourd'hui. Ali Dehilès nous a transmis le témoignage laissé par cette résistante de la première heure qui fut la veuve d'Abane Ramdane.

"Je suis née à La Casbah, au 17, rue Pyramide, en 1928. A l'âge de trois ans j'ai perdu mon père qui gagnait péniblement sa vie. Nous avons déménagé à Notre Dame d'Afrique, rue du Carmel où j'ai fréquenté l'école communale jusqu'à l'obtention du certificat d'études puis j'ai continué à la Chabiba où j'ai été impregnée et sensibilisée à la cause nationale par cheikh Tayeb el Okbi qui a eu une grande influence sur moi. Nous étions pauvres et ma mère, veuve, travaillait. Je l'aidais comme je pouvais. J'avais conscience de l'indigence des indigènes comparés au train de vie des colons. L'injustice était flagrante.

J'ai commencé à militer en 1947 au sein de l'AFMA (Association des femmes musulmanes algeriennes ) sous l'égide du MTLD et présidée par Mamia Chentouf. J'y ai croisé Nafissa Hamoud, future professeur Laliam. Nous faisions beaucoup de social et nous entrions dans des mariages a La Casbah et à Belcourt pour entonner des chants patriotiques, ce qui nous valait de ressortir avec une petite cagnotte !
En 1949, atteinte de tuberculose, je suis envoyée à Marseille où j'ai été sauvée in extrémis. Lors de mon séjour au sanatorium d'Annecy qui dura environ 15 mois j'ai été formée a la sténodactylo.

De retour a Alger, j'ai décidé de m'émanciper en enlevant le hayek au grand désespoir de ma mère ; de parfaire ma formation à l'école Pigier.
C'est grâce au MTLD que j'ai trouvé un poste de secrétaire chez un avocat : maître Boyer, rue Duc des Cars.
Dès le déclenchement de la révolution, j'ai cherché à rejoindre le FLN. Nassima Hablal fût la première à y accéder et ce n'est qu'en juillet 1955 que mon voeu se réalisa. Nous avions un voisin qui enseignait l'arabe, Hocine Belmili avec qui je discutais le matin avant d'aller à mon travail. Un jour, il m'a dit : "Tu es sûre de vouloir entrer dans le FLN ?". "Oui", ai-je répondu. "Alors tiens-toi prête demain".

Le lendemain par une belle journée de juillet, nous avons pris un taxi direction la Glacière à El Harrach. Un homme nous attendait. J'ai tout de suite compris que j'avais affaire à un élément important du FLN. Il m'a d'emblée tutoyer :

- Tu fais quoi ?
- Je suis la secrétaire d'un avocat
- Tu tapes à la machine
- Oui
- Tu as des contacts et des refuges sûrs ?
- Oui
- Alors tu seras contactée à ton boulot.

Il a tourné les talons et a disparu.

Je venais de faire la connaissance avec Abane Ramdane !

Quinze jours plus tard, j'ai reçu la visite d'Amara Rachid agent de liaison : Abane cherchait un refuge.
Je lui ai présenté Fatima Zekkal Benosmane qui l'a reçu chaleureusement.
J'ai profité de mon travail pour taper tous les tracts et autres documents que le FLN m'envoyait, parallèlement à Nassima Hablal jusqu'à son l'arrestation en octobre 1955, arrestation à laquelle j'ai assisté ! J'ai cessé toute activité car j'étais fichée par la police qui me filait matin et soir, tout en continuant mon travail chez l'avocat.

Quelque temps aprés Abane m'envoie Mohamed Seddik Benyahia pour me demander d'entrer dans la clandestinité. Ce que je fis en m'installant dans la famille Alkama au 20, rue Bastide.

J'ai eu l'honneur de taper les six premiers numéros d'El Moudjahid ainsi que la plateforme de la Soummam.
Après la grève des 8 jours, la répression policière a été telle qu'Abane Ramdane a dû fuir Alger pour Tunis en février 1957, me laissant seule avec notre bébé. Ma vie de militante s'est arrêtée net. Je n'ai plus eu de ses nouvelles jusqu'en décembre 1957, date a laquelle je reçois un télégramme : "Rejoins-moi".

Arrivée à Tunis début janvier 1958, il était trop tard, il venait d'être assassiné mais je l'ignorais et on m'a laissé dans l'ignorance durant 5 longs mois... Je l'ai recherché sans relâche jusqu'au jour où j'ai croisé Slimane Dehiles son ami de toujours, le défenseur de la veuve et l'orphelin.
Nous avons pleuré Abane ensemble et je l'ai épousé en novembre 1959
Et depuis, je suis murée dans mon silence !"

Izza Bouzekri
Veuve Abane Ramdane
épouse de Slimane Déhiles dit le colonel Saddek.

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