APN: une législature sans bilan

Le Matin 12-05-2017 9634

APN: une législature sans bilan
Une législature à blanc.

Le rite électoral, qui a abouti à l'adoubement de 462 députés, a achevé son cérémonial. Les regards se tournent maintenant vers la composante du nouveau gouvernement pour lequel le Premier ministre, Abdelmalek Sellal est, dit-on, en train de mener des consultations.

L'on sait que, dans la forme et dans le fond, le pouvoir n'a pas besoin de se donner beaucoup de peine pour constituer le nouvel exécutif. Les deux partis (FLN et RND) traditionnellement ancrés dans le pouvoir ont suffisamment de sièges pour se passer d'éventuels alliés ou "intrus". Mais, il en est ainsi de l'obscur sérail. Au-delà de la forme, il faudrait encore mettre les formes! C'est pourquoi, en haut lieu, on insiste à faire participer au gouvernement des formations politiques situées à la périphérie du pouvoir, celles qui ont bénéficié de la générosité d'un scrutin auquel n'ont participé que 35 % des électeurs algériens. Serait-ce là une façon de reproduire l'ancienne Alliance présidentielle, supposée pouvoir contribuer à placer les jalons et les garde-fous pour l'échéance présidentielle de 2019?

Par-delà cette question, qui nous projette dans un futur éloigné de deux ans, les électeurs et les non-électeurs se posent légitimement la question de savoir quel est le bilan de l'ancienne législature, elle dont la moitié du mandat a été vécu sous le régime de la crise financière due à la chute des prix du pétrole sur les marchés mondiaux à partir de juillet 2014. Depuis cette date, quel est l'apport de l'APN pour face à la crise, en sortir ou la dépasser? Au rituel d'une élection boudée par plus de la moitié de la population, manque inévitablement la substantifique moelle, celle consistant à établir le bilan de la législature qui s'achève. Ni les députés, ni les ministres, ni les grands administrateurs de l'ombre qui ont confectionné les avant-projets de loi qui ont fini par être adoptés presque toujours à l'unanimité, ne se sont avisés à demander un bilan de l'Assemblée populaire nationale ni à l'établir par leurs propres soins et le rendre public.

En d'autres termes, l'opinion nationale et les électeurs qui se sont déplacés en avril 2012 pour choisir les députés qui terminent aujourd'hui leur mandat, ne méritent pas, aux yeux de tout ce beau monde, des égards qui consisteraient à leur restituer le passif et l'actif des membres de l'Assemblée pendant ces 60 mois de législature, à évaluer le résultat de l'adoption des lois (avec les amendements qu'elles ont subis dans leur parcours procédural) sur les secteurs concernés et sur la marche générale du pays.

Et l'on sait que la nouvelle Constitution de février 2016 avait contraint le gouvernement à faire adapter un grand nombre de textes législatifs par leur mise en conformité avec le nouveau texte fondamental du pays. Ce qui donnera lieu, tout au long de la fin du printemps et du début de l'été 2016, à des séances marathoniennes qui ont débordé sur le mois. Ce rythme infernal consistant à élaborer toute une "industrie" de textes législatifs au pied levé et à les adopter toujours avec la majorité des mains levées, n'a pas échappé à l'opinion nationale, qui commence à se montrer de plus en plus critique et à prendre ses distances par rapport à une institution censée pourtant être la substantifique moelle de la représentation politique. Le taux historique d'abstention étant le signe le plus tangible de cette désaffection vis-à-vis de cette grosse machine budgétivore qui a pour nom "Assemblée populaire nationale".

L'idée n'est pas nouvelle. Elle est alimentée par toutes les réalités et les désillusions des années passées, qui faisaient que l'APN et son jumeau, le Conseil de la nation, dans un jeu bicaméral servant de vitrine démocratique, n'ont pas eu le loisir et le panache d'être à la hauteur des aspirations de la société. Ces deux institutions feignent de procéder à des amendements sans grande portée, simulent des débats et bouclent rapidement les dossiers qui leur sont soumis. Lorsqu'il y a vrai problème, comme ce fut le cas pour la retraite anticipée et proportionnelle que le gouvernement Sellal avait décidé de supprimer, l'initiative pour débloquer la situation- avec l'intelligence et les limites de la démarche- n'est pas venue des députés eux-mêmes ni du ministre du Travail. Elle est venue de la présidence de la République pour "corriger" l'excès de diligence avec lequel a été traité le dossier.

Pour la séparation des pouvoirs, on ne s'était pas fait trop d'illusions. Ce n'est pas une ou deux fois que les députés reçoivent des "ordres" de l'exécutif. Toutes les ordonnances qu'ils eurent à avaliser en "gros" et sans débats ne signifient pas autre chose. De là à qualifier l'Assemblée de caisse de résonnance du pouvoir politique, il n'y a qu'un pas que beaucoup d'analystes et, bien sûr, des hommes politiques de l'opposition, ont franchi depuis longtemps. Pire que cela, une grande partie de l'opinion nationale et des électeurs se sont taillé une image presque définitive, figée dans une espèce de reniement, de ce qu'est devenue une Assemblée dont les membres avaient voté leurs propres salaires, lesquels font 17 fois le Smig du travailleur algérien. Le cynisme de certains députés les a poussés, au début de la crise financière qui a lourdement frappé l'économie du pays, à faire circuler l'idée de la nécessité de "revaloriser" les salaires des "représentants du peuple". Et la boucle est bouclée.

Indépendamment des regroupements et des alliances politiques qui se nouent et se préparent dans le cadre des élections de mai prochain, et nonobstant les manœuvres individuelles ou collectives qui président à la confection des listes de candidats, les Algériens sont aujourd’hui quelque part gagnés par le doute et le scepticisme devant une "machine" électorale qui tarde à enfanter les premiers contours d'un système démocratique et porteur des valeurs de la justice sociale. Ces principes et ces valeurs sont d'autant plus importants que le pays entame une période de transition économique et sociale, dictée par la crise des revenus pétroliers, mais dont ne voit clairement ni les balises ni l'horizon.

C'est que le Parlement, avec ses deux chambres, a accompagné loyalement le gouvernement dans ses moments d'euphorie des recettes pétrolières- qui ont rendu possibles tous les errements et toutes les fausses générosités clientélistes des gestionnaires de l'économie nationale. Au moment de la dèche, le gouvernement a improvisé des solutions hyper-fiscalistes (lois de finances 2016 et 2017) qui ont lourdement grevé les ménages, tout en faisant preuve d'un manque terrible d'imagination pour lancer un quelconque plan de sauvetage de l'économie par la voie des investissements hors hydrocarbures. Là, également, l'Assemblée nationale l'a loyalement accompagné jusqu'au bout. Après trois années de crise financière et l'assèchement progressif des réserves de changes, le Premier ministre fait à la veille des législatives, des "révélations" sur l'intensité de la crise, alors qu'il avait fait montre, jusqu'ici, d'un optimisme douteux.

L'on se souvient que, en janvier dernier, le ministre des Finances avait vraiment peiné à réunir le quorum des députés, convoqués pour voter la loi de règlement budgétaire de l'année 2014. Les rangées de l'hémicycle étaient clairsemées. Le demi-millier de fiches de paye bien "cossues" n'avaient pas leurs titulaires présents dans la salle. Ils vaquaient à leur nouvelle tâche, celle du renouvellement de mandats. Et il n'y avait pas de temps à perdre. Le bilan ? C'est quoi le bilan ?

Amar Naït Messaoud

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