Mohandas Karamchand Gandhi : bienvenue en Algérie !

Le Matin 24-04-2017 15193

Mohandas Karamchand Gandhi : bienvenue en Algérie !
Après avoir suspendu sa grève de la faim, Kamel-Eddine Fekhar évacué sur Alger.

Il a dit : "Je connais mille motifs pour que quelqu’un me tue ; je ne connais aucun motif pour tuer.” Il a dit, aussi : “A force d’appliquer la règle “œil pour œil”, le monde entier finira par être aveugle."

Il avait refusé, durant toute sa vie, d’être appelé “Mahatma” (Grande âme). Il préférait simplement son nom. Il renonça également aux vêtements occidentaux, pour s’habiller exactement comme le plus humble des paysans de son pays.

Il a, enfin, dit : "Mon message, c’est mon style de vie."

Appliquant le principe de la résistance non violente à la domination coloniale anglaise, il a obtenu l’indépendance de son pays, l’Inde.

En novembre 2012, à Bgayet, j’ai présenté une pièce de théâtre, Alhnana, ya ouled ! (La tendresse, les enfants !), où ces idées de Gandhi étaient ouvertement exprimées ; elles étaient revendiquées par un groupe de jeunes, nommés "hmamâte" (colombes, en référence à ce symbole de la paix), contraints à affronter un groupe rival, nommé "Nmoura" (tigres, par allusion à la violence et à la cruauté de cette bête).

Le journaliste d’un quotidien de renom me traita, alors, dans son compte-rendu d’être complètement ignorant des réalités actuelles de l’Algérie, au prétexte que je vivais à l’étranger depuis longtemps.

Personnellement, je les connaissais suffisamment, mais je voulais introduire les idées de Gandhi. Parce que je savais, comme toute citoyenne et citoyen algérien : 1) que notre pays fut toujours un territoire envahi, conquis, son peuple exploité-asservi ; et, cela, par tous les envahisseurs, sans exception aucune ; 2) qu’il a fallu une guerre de libération nationale, contre un colonialisme féroce, ayant coûté plus d’un million de morts, pour obtenir l’indépendance ; 3) qu’une dizaine d’années fut sanglante, avec près de deux cents mille morts, la plupart des civils, femmes, bébés et vieillards compris ; 4) qu’en 2012, à mon retour au pays, après plusieurs années, je constatai les regards durs, méfiants, les uns peureux, d’autres ouvertement agressifs, tant le pays était soumis à des conditions de vie insupportables.

Alors, oui ! Ce pays, ce peuple éternellement martyrisé, par les dominateurs étrangers, ensuite, frustré de ses espérances de l’indépendance, en matière de liberté et de justice sociale, que peut-il décider ?… Résister ! Mais la méthode violente avait donné ses résultats : la guerre de libération donna uniquement naissance à une caste dominatrice nouvelle, indigène, et ce qu’on appelle la "décennie sanglante" n’a pas réglé les problèmes fondamentaux.

Mais personne ne semblait connaître une autre méthode de résistance à l’oppression : la résistance civile non violente. Ma pièce de théâtre visait à l’instauration d’un débat. Il n’eut pas lieu; je fus considéré un "martien" débarquant en Algérie, sans la connaître.

Et voilà que moins de trois années après, j’apprends que des citoyens du Sud-Saharien ont entamé une action non-violente pour dénoncer le projet gouvernemental d’exploitation du gaz de schiste, qui aurait gravement endommagé la région et sa population.

Et voilà, en ce début de 2017, Kamel-Eddine Fekhar qui entame une grève de la faim, risquant sa vie.

Et voilà que, le 23 avril 2017, d’autres citoyens commencent une grève de la faim, en appelant “à la mobilisation contre l'arbitraire en Algérie (...) Kader Affak, initiateur du Café littéraire Le Sous-Marin et Hamid Ferhi, coordinateur national du Mouvement démocratique et social (MDS)” (Les grévistes de la faim du CNL-DPO appellent à la mobilisation contre l'arbitraire en Algérie - Vidéo)

Enfin !… Pour dénoncer l’injustice, des citoyens ne choisissent pas les armes contre les représentants du pouvoir ni contre des civils, mais utilisent leur corps et leur souffrance physique personnelle comme instrument de lutte.

Des sceptiques ricaneront, en déclarant : "Oh ! Oh !… Gandhi a été finalement assassiné par un extrémiste hindou, et les grévistes de la faim risquent de mourir, sans obtenir de résultat."

Certes, Gandhi fut tué, mais ses idées permirent l’obtention de l’indépendance. Elles furent également l’inspiration du pasteur Martin Luther King, pour l’obtention des droits civils aux citoyens états-uniens d’origine africaine. Nelson Mandela, lui aussi, a déclaré s’inspirer des idées de Gandhi ; la dirigeante Aung San Suu Kyi, en Birmanie, affirma employer les méthodes de Gandhi dans sa lutte populaire contre la dictature militaire. Nous connaissons les résultats positifs de ces actions. Il y eut bien d’autres militants qui ont et continuent à utiliser la résistance non violente pour mettre fin à la domination, et créer une communauté humaine fraternelle, sans jamais employer la violence.

En Algérie, la centaine de jours de grève de la faim de Kamel-Eddine Fekhar a fini par mobiliser une partie des citoyens, au point qu’il a mis un terme à son action, pour être transféré dans un hôpital d’Alger, afin de retrouver sa santé et, certainement, poursuivre sa lutte pacifique.

Finalement, donc, les idées de Gandhi existent dans notre pays, éternellement soumis au cycle vicieux de violence-contre violence. Dans Alhnana, ya ouled !, j’ai créé un personnage d’ancien moudjahid qui déclare : "Allî yagàtloû, ijî a nhâr wîne yatgâtloû binâthoum !" (Ceux qui tuent, viendra le jour où ils s’entre-tueront !") L’histoire des révolutions montre cet horrible cercle infernal, y compris en Algérie.

Personnellement, je considère l’apparition de la résistance non-violente contre l’arbitraire en Algérie comme la preuve de la naissance d’un nouvel esprit de combat, comme un tournant fondamental dans la mentalité algérienne, soucieuse de liberté et de solidarité citoyenne. Je crois que cette méthode sera favorablement accueillie par le peuple algérien, exténué par tant de violence et de sang versé, sans obtenir le résultat espéré. Certes, il y faudra un certain temps, car la "culture" algérienne charrie un effroyable contenu, faisant l’éloge de la violence contre l’adversaire, et même contre des innocents.

Mais je crois que les citoyens, grâce à l’exemple de dévouement pratique des résistants non violents, qui assument la souffrance sur leur propre corps, que ces citoyens finiront par être touchés, et, j’espère, par adopter, eux aussi, cette méthode. Ainsi s’élargira et grossira le mouvement de résistance non violente à l’arbitraire. En fin de compte, l’histoire le montre, aucune force de répression, quelle que soit sa dimension, ne parvient à juguler un tel mouvement, s’il devient suffisamment citoyen. Sa naissance et son développement dépendent de l’intelligence, de la patience et du courage que montreront celles et ceux qui savent tirer des expériences historiques de luttes émancipatrices les leçons les plus fructueuses.

"Je ne suis pas née pour la haine, mais pour l’amour", avait déclaré Antigone, face au tyran Créon. Eh, bien, oui !… La haine n’a jamais rien réglé dans le monde, ni dans notre pays. Elle a uniquement remplacé une domination par une autre.

Alors, essayons l’amour. Autrement dit, il est facile de haïr l’adversaire ; cela dispense de comprendre ses motifs. S’efforcer de les élucider, par la raison, sans la haine qui aveugle, permet de mieux le combattre, ou, plutôt, de réduire à néant son action malfaisante.

A ce propos, dans la même pièce de théâtre, auparavant évoquée, un personnage expliquait pourquoi il enseignait au groupe des "hmamâte" l’art martial, pour se défendre contre les agressions des "nmoura".

Dans l’antiquité chinoise, des moines bouddhistes constataient que trop souvent des hordes de bandits les agressaient, en leur volant leurs récoltes, les réduisant de cette manière à la famine. Que faire ?… Par conviction spirituelle, les moines ne s’autorisaient pas à résister par la violence aux agressions. En plus, ils n’avaient pas de vocation guerrière, mais intellectuelle. En réfléchissant, ils inventèrent une méthode de défense particulière. Elle avait deux avantages : 1) elle permettait à des personnes physiquement faibles, et non organisées comme "armées", d’affronter efficacement d’autres, plus fortes et constituées comme organisation guerrière ; 2) elle évitait de tuer l’adversaire.

Ainsi fut inventé l’art martial. Son principe fondamental : employer la force brutale de l’adversaire pour le vaincre, grâce à des mouvements adéquats. La particularité de ce principe : utiliser l’intelligence pour vaincre le stupide crétinisme. L’avantage de ce principe : transformer la faiblesse en force.

Voilà pourquoi je dis : Mohandas Karamchand Gandhi, bienvenue en Algérie ! Et merci de tout cœur pour l’exemple que tu nous as donné ! Et merci de tout cœur à vous, compatriotes, qui préféraient souffrir dans votre corps pour établir dans notre pays liberté et solidarité !

Kaddour Naïmi

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