Dans l’antichambre du pouvoir algérien (IV)

Le Matin 11-04-2017 14421

Dans l’antichambre du pouvoir algérien (IV)
Bernard Cazeneuve venu défendre les intérêts français en Algérie.

La France dans l’Europe ou l’Europe dans la France (26) n’entend pas perdre son rôle d’arbitre influent et d’ancienne puissance coloniale, dans les pays du Maghreb et en Algérie tout particulièrement. Ses intérêts bien compris étant en jeu, il est exclu que le remplacement du Président algérien se réalise sans son avis ou pire encore, contre elle.

Par Mourad Goumiri

Elle a déjà du mal à contenir "l’invasion jaune" (sino-japonaise) sur le continent africain et en Algérie, elle ne peut pas se permettre de perdre le "bastion algérien", pièce maitresse au Maghreb (27), au profit des intérêts américains surtout avec un "Président-homme d’affaires" nommé D. Trump, que toute la classe politique française traite d'"imprévisible' car ne respectant aucun cadre préétabli ! Le slogan "America first", fer de lance de sa campagne et de sa victoire, ne vaut pas uniquement pour les affaires intérieures mais il s’applique également aux relations internationales, ce qui se traduira par une remise en question des positions dominantes détenues par tous ses partenaires étrangers dans le monde, la France comprise.

La France, qui est le seul pays au monde à connaître, dans le détail, l’état de santé réel de notre Président, a commencé la mise en place de son dispositif de contrôle du processus de remplacement, par le changement de son ambassadeur, en désignant X. Driencourt qui a déjà occupé ce poste entre 2008 et 2012 et qui travaillera en "bonne intelligence" avec un autre ancien ambassadeur de France à Alger, Bernard Bajolet (2006-2008), promu patron des services de renseignement français. François Hollande a envoyé Bernard Cazeneuve, son Premier ministre, il y a quelques jours à Alger, "pour participer au Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN)", deux semaines après son ministre de l’Intérieur, Le Roux mais également et surtout pour vérifier l’efficacité du dispositif. Il a qualifié, à sa descente d’avion, les relations entre deux pays d’"exceptionnelles et uniques, en raison de l'histoire commune qui lie les deux pays". Il en profite pour assister à la signature d’une dizaine de projets de contrats industriels (28) et a qualifié la coopération sécuritaire de positive tout en laissant entendre que l'expérience précieuse de l’Algérie en matière de "lutte antiterroriste est d’une grande utilité pour la France". Il a salué "le rôle clé joué par l'Algérie sur la scène régionale pour le retour de la paix et de la stabilité en Libye et au Mali" (29). Mais il s’en est retourné, sans rencontrer le Président de la république, après l’annulation du rendez-vous pourtant programmé, selon l’AFP.

La donne européenne est un peu plus nuancée par rapport à la position française. Emportée par la RFA, réunifiée et le Royaume-Uni, en voie d’éclatement, l’Union européenne, qui sous-traitait le Maghreb et notamment l’Algérie, à la France, ne l’entend plus de cette oreille, pour la simple et bonne raison que la position de la France a considérablement régressé, à tous les niveaux, dans l’échiquier mondial, européen et africain. F. Mogherini, Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères, a déclaré dernièrement à son arrivée à Alger, que "nos intérêts réciproques vont bien au-delà de simples intérêts mercantiles". Elle "a rappelé également que l’Algérie tire déjà profit de notre relation commerciale puisque l’Union européenne est le premier marché d’exportation du gaz algérien et nous nous sommes également engagés à coopérer de manière plus serrée sur les questions stratégiques et sécuritaires et sur les questions de migration et de mobilité". Alors que pour P. Defraigne, directeur général honoraire à la Commission européenne, "le risque d’implosion et de guerre civile est hélas très sérieux" suivi en cela par, le journaliste et écrivain anglais S. Pollard qui considère que "Quand Bouteflika mourra, les islamistes vont essayer de s’emparer du pouvoir et l’Europe devra faire face à une autre crise de réfugiés". Cette vision est partagée par J. Keenan qui écrit dans Die Welt, "si le Président Bouteflika, malade depuis des années, meurt, le pays pourrait plonger dans le chaos… La corruption et la répression sont immenses et les conditions de vie se détériorent. La seule chose qui manque c’est l'étincelle". Der Spiegel prédit, à son tour, que l’Algérie est en "danger de désintégration" ! La politologue allemande, spécialiste des pays du Maghreb, I. Werenfels, vice-présidente du Foundation Board du Graduate Institute of International and Development Studies de Genève, accuse Abdelaziz Bouteflika d’avoir "divisé l’Algérie pour mieux régner", au lendemain de la visite avortée en dernière minute de la chancelière allemande A. Merkel, dans la “Stiftung für Politische Wissenschaft” (SWP). Quant à la transition, la politologue pense qu’une "partie des élites au pouvoir n’a pas intérêt à ce que les choses changent car la transition peut apporter un Etat de droit, la transparence". Mais pour autant, elle ne voit pas l’Algérie sombrer forcément après la mort d’A. Bouteflika, car elle croit qu’il n’est qu’une pièce du système et non le système en entier. Sous couvert de «stabilité, les pays occidentaux tablent sur le maintien du système en Algérie, car dans un contexte chaotique, les conséquences sur l’Europe seraient catastrophiques". L’Europe considère également que la stabilité de l’Algérie constitue un rempart contre l’immigration subsaharienne ! Comme les américains, les européens considèrent que le remplacement du Président algérien est une priorité, compte tenu de l’état inquiétant de sa santé (30) !

Enfin, les pays du Golfe, à leur tête l’Arabie Saoudite, somment l’Algérie de choisir son camp et de ne pas surfer entre les lignes rouges, dans les différents dossiers brûlants qui déchirent la région comme celui de la Syrie, du Yémen, de l’Irak, de l’Iran (31), du Liban, de la Ligue arabe. Dès lors, ils privilégieront un Président remplaçant qui acceptera d’entrer dans le rang, en rejoignant le reste des pays du Golfe, dans leur effort de contenance de "l’expansionnisme perse" dans la région. En outre, le nouveau Président devra rejoindre les pays du Golf sur les dossiers libanais, syrien et irakien, où les divergences sont criardes. Les pays du Maghreb, quant à eux, tenteront, pour le Maroc de trouver un interlocuteur moins dogmatique sur le dossier du Sahara Occidental, la Tunisie un bienfaiteur plus généreux, la Libye un voisin moins interventionniste et la Mauritanie allié protecteur dans la sous-région. Compte tenu de tout ce qui précède, le profil du prochain Président est tout trouvé !

M. G.

Mourad Goumiri est professeur associé

Lire la troisième partie : Dans l'antichambre du pouvoir algéren (III)

Lire la deuxième partie : Dans l'antichambre du pouvoir algérien (II)

Lire la première partie : Dans l'antichambre du pouvoir algérien (I)

Notes

(30) Les annulations en série des visites officielles de personnalités étrangères (allemande, iranienne, espagnole, française…) corroborent cette thèse et plaident pour un remplacement rapide dans "le calme et l’ordre".

(31) L’Algérie tente de rester neutre face à la guerre, pour l’instant froide, que se livrent l’Arabie saoudite et l’Iran. Ryad a tenté, lors du Sommet de la Ligue arabe, du 28 mars 2017, en Jordanie, d’amener «tous les pays arabes à dénoncer l’interventionnisme de l’Iran au Moyen-Orient et au Golfe persique». L’Algérie a refusé de se joindre, en décembre 2015, à l’Alliance militaire islamique antiterroriste crée par l’Arabie saoudite et qui rassemblait 34 États d’Asie, du Proche-Orient et de l’Afrique. Dans les années 1990, l’Algérie avait accusé le wahabisme saoudien d’être à l’origine du fondamentalisme religieux qui a nourri le terrorisme dans son pays.

À NE PAS RATER

Plus de Analyse