Hocine Malti : "Washington est derrière la nomination d'Ould Kaddour à la tête de Sonatrach"

Le Matin 21-03-2017 101518

Hocine Malti : "Washington est derrière la nomination d'Ould Kaddour à la tête de Sonatrach"
, Hocine Malti, consultant pétrolier, ancien vice-président de Sonatrach

Dans cet entretien à chaud après la nomination du nouveau PDG de Sonatrach, Hocine Malti, consultant pétrolier, ancien vice-président de Sonatrach et auteur du très retentissant livre "L’histoire secrète du pétrole algérien", esquisse quelques explications sur les derniers développement à la tête du pouvoir.

Le Matindz : Que vous inspire le limogeage de Mazouzi et la désignation d'Ould Kadour à la tête de Sonatrach ?

Hocine Malti : Cette nomination m’inspire le dégoût, l’envie de vomir. Comme vous savez en Algérie on a l’expression : bled Mickey. Eh bien oui l’Algérie est devenue bled Mickey. Maintenant concernant le limogeage de Mazouzi, de nombreuses questions se posent. Quand ils l’ont ramené, on nous l’a présenté comme un cadre compétent et intègre, on nous a rappelé le rôle de son père pendant la guerre d’indépendance ; aujourd’hui on le limoge comme un malpropre. D’une manière expéditive. Pourquoi cette urgence absolue de mettre fin à ses fonctions ? On nous a certes dit que le conseil d’administration (CA) de Sonatrach s’est réuni et a décidé son limogeage. Qui et comment a été convoqué ce CA et sur quel ordre du jour ? A ce niveau de responsabilité, ce sont des réunions qui ne s’improvisent pas, il faut préparer des dossiers, un ordre du jour.. . Mais manifestement ce n’est pas le cas.

Pour en revenir à la nomination d’Ould Kaddour Abdelmoumen, il faut rappeler que ce Monsieur que je ne connais pas a été PDG de Brown & Root Condor (BRC), une société mixte entre Sonatrach et Brown & Root, filiale de Halliburton, impliquée dans un énorme scandale d’espionnage et de surfacturation dans les années 2000. Il faut rappeler aussi que Bouteflika a dissous BRC en 24 heures. Il a pris la décision seul sans avertir le conseil d’administration qui est composé d’Algériens et d’Américains et dont c’est le rôle de proposer à l’assemblée générale la dissolution éventuelle de l’entreprise. Cette décision de dissolution n’est pas du ressort du président de la République. C’est pourquoi elle est également anormale car Bouteflika ne pouvait agir ainsi sans avoir donné des gages aux Américains puisqu’ils sont partenaires de cette entreprise.

On sait depuis les années 2000 que les enquêtes du DRS ont découvert des surfacturations à hauteur de 700%, que BRC a construit une base américaine à Tamanrasset, même si les autorités continuent de le nier, mais aussi qu’Ould Kaddour était impliqué dans l’affaire des mallettes de communications militaires truffées de micros de transmission de données. Il a été condamné par le tribunal militaire de Blida à 30 mois de prison, il en a fait 20. Manifestement il a payé pour d’autres officiers supérieurs puisqu’il a été le seul à être condamné.

Pour autant, on a le sentiment que ceux qui l’ont nommé ont effacé sa condamnation par le tribunal militaire. Pourquoi ?

Aujourd’hui, on le nomme rapidement à la tête de Sonatrach. Ce qui constitue une décision d’une énorme gravité sachant que cet homme a été condamné pour espionnage et divulgation de secrets d’Etat. Dans un pays normal on n’aurait jamais osé faire ça. Mais il faut croire que des intérêts financiers et politiques très importants sont en jeu actuellement.

Autrement dit ?

La situation actuelle me rappelle celle que nous avons vécue en 2001 quand Bouteflika a décidé d’acheter la couverture américaine pour ce qui s’est passé pendant la décennie noire. A cette époque, Bouteflika a proposé de fournir aux Américains les renseignements dont disposait l’Algérie sur Al Qaida, Oussama Ben Laden ou les Talibans. George Bush a exigé en plus que les hydrocarbures algériens soient cédés aux multinationales pétrolières qui sont en grande majorité des américaines. D’où ensuite la loi sur les hydrocarbures écrite par Chakib Khelil et son équipe. On se souvient que suite à la pression du DRS et de l’UGTA, Bouteflika avait gelé cette loi avant la présidentielle de 2004. Mais a tout de suite après son élection il a fait adopter cette loi par ordonnances, entérinées par la suite par le Parlement. Nous savons tous que l’Assemblée nationale et le Sénat ne sont que des chambres d’enregistrement des décisions du pouvoir. Après une longue saga qui a duré 6 ans au total il a fait modifier les dispositions les plus controversées de cette loi, pour aboutir finalement à ce que l’on a appelé la loi de 2006.

Quel rapport avec l’actualité ?

On est dans une période de fin de règne. Le clan au pouvoir sait que ses jours sont comptés alors il est à nouveau à la recherche de la couverture américaine, soit pour garantir au régime actuel son maintien en place, soit pour couvrir ses arrières en cas de départ. On remet alors en selle Chakib Khelil, on nomme Bouterfa à la tête de l’Energie et maintenant c’est Ould Kaddour qui est désigné à la tête de la très stratégique Sonatrach. Je suis certain que c’est Chakib Khelil, obéissant à ses maitres de Washington qui a manœuvré pour le retour d’Ould Kaddour, un homme qui a été sous son autorité quand il était ministre de l’Energie et qui a lui aussi ses attaches avec les États-Unis. L’objectif de tout ça ? Sachant que le règne de Bouteflika est en train de s’achever, il était urgent de mettre des hommes de confiance aux postes clé pour aussi couvrir le passif.

Entretien réalisé par Hamid Arab

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