Ahmed Benbitour : pour un sursaut national

Le Matin 21-03-2017 30505

Ahmed Benbitour : pour un sursaut national
Ahmed Benbitour.

J’aurais tant aimé ne pas avoir à lancer cet appel parce que l’avenir de la nation serait réconfortant. Malheureusement, ma conscience me dicte le devoir de le faire, car la nation fait effectivement face à un péril réel et imminent, comme je vais en faire une démonstration scientifique et rigoureuse.

J’avais averti en 2001 à travers de multiples contributions dans les médias que l’Etat algérien allait connaître, en raison de sa manière de gérer le pays, la défaillance entre 2001 et 2010 et la déliquescence entre 2011 et 2020. Et aujourd’hui, visiblement, l’Etat obéit réellement aux cinq critères de définition d’un Etat déliquescent.

J’avais annoncé en 2011, en prenant appui sur des paramètres d’appréciation tout autant visibles pour moi que pour les dirigeants, l’avènement en 2017 de la pénurie de moyens de financement de l’Etat et de l’économie et j’avais proposé, en guise de solution préventive, un programme de sortie de crise.

J’avais régulièrement fourni dans la presse écrite dans les deux langues, arabe et français, des analyses des différentes activités de l’Etat, y compris un programme de sauvegarde en juin 2016 pour avertir, comme d’autres l’ont fait, contre la dérive de la "mal gouvernance" et proposer des solutions.

Nous n’avons pas été écoutés par le passé, ma voix n’a pas été par conséquent entendue, mes avertissements autant que mes mises en garde, et encore moins les solutions que je préconisais n’ont pas retenu l’attention parce que les tenants du pouvoir n’ont pas pu ou voulu voir la véracité de mes prévisions, ni distinguer lucidement à l’horizon l’approche rapide et inéluctable de l’avènement de la crise annoncée, alors que le vécu ultérieur l’a prouvé dans la douleur et les craintes de ce que sera demain.

De nouveau et en humble Algérien soucieux de l’avenir de son pays, je lance cet appel, comme le furent les analyses qui l’ont précédé, pour donner encore une fois aux citoyens et aux tenants du pouvoir une image claire des dangers qui menacent le pays et ainsi leur permettre de réfléchir aux solutions qu’il faut rapidement mettre en œuvre avant que les crues aveugles de l’oued de la violence n’emportent tout sur leur passage.

Il faut bien comprendre que les réformes nécessaires à mettre en œuvre pour sortir de cette crise ne peuvent prendre ancrage et réussir que si la population tout autant que les gouvernants prennent conscience de la nature de celle-ci. D’où "l’appel au sursaut national", à l’éveil des esprits. Le marché de l’énergie, cette source de vie pour de nombreuses années encore pour notre pays, se caractérisera dans la prochaine décennie par :

1- Une stratégie mondiale de rationalisation de la consommation de l’énergie de source fossile avec sa conséquence sur la baisse de la demande d’hydrocarbures.

2- Une politique de défense de la part de marché chez les principaux pays producteurs au sein de l’OPEP, avec sa conséquence baissière sur les prix.

3- Une augmentation au niveau mondial de sources de production d’énergie hors hydrocarbures classiques : énergies renouvelables, pétrole et gaz de schiste… avec sa conséquence sur le surplus de l’offre et la baisse des prix.

Tous ces éléments mis ensemble, nous pouvons prédire sans risque d’erreur que les prix du pétrole ne dépasseront pas les 60 dollars en moyenne annuelle durant la prochaine décennie.

Il se trouve, d’autre part, que l’économie algérienne était en tendance baissière en volume de production et une demande en hausse des hydrocarbures pour les besoins de la consommation interne. De fait et en chiffres, le volume d’exportation d’hydrocarbures a baissé de 25,6% entre 2006 et 2011, de 10% supplémentaires en 2012 et continue de baisser depuis.

A partir de 2014, le pays s’est trouvé dans une situation dangereuse d’amenuisement des quantités et des prix des hydrocarbures exportés, et par conséquent dans une accélération de la chute de ses recettes d’exportation, qui ont enregistré une baisse d’un niveau de 64,4 milliards de dollars en 2013 à moins de 26 milliards de dollars en 2016 !

Ces coupes drastiques intervenues subitement dans les revenus du pays interviennent alors que les importations des biens et services ont enregistré un bond catastrophique vers la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, puisqu’elles sont passées de 12 milliards de dollars en 2001 à 62 milliards de dollars en 2013 et à 68 milliards de dollars en 2014. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’à ces chiffres fortement élevés, il faut ajouter 8 milliards de dollars de parts de bénéfices transférés par les compagnies étrangères exerçant en Algérie. Autrement dit, des dépenses à l’étranger de 70 milliards de dollars en 2013 et 76 milliards de dollars en 2014.

A quel niveau l’austérité annoncée dans la précipitation par le gouvernement devant cette situation qu’il n’a pas su prévoir peut-elle faire baisser ces chiffres ? Ou bien alors, faudra-t-il financer le déficit extérieur en puisant dans les réserves de change accumulées durant les années d’aisance ? Et dans ce cas, pour combien de temps encore ? Que faire alors pour le déficit budgétaire lorsque le prix du baril nécessaire pour son équilibre est passé de 34 dollars en 2005 à 115 dollars en 2011 ?

Faudra-t-il encore dévaluer le dinar pour augmenter de manière factice la valeur nominale de la fiscalité pétrolière avec ses conséquences négatives sur le pouvoir d’achat des consommateurs, dans la mesure où nous importons 75% des calories que nous consommons ?

Si les gouvernants actuels ont été incapables de rationaliser et d’utiliser à bon escient l’aisance financière exceptionnellement favorable qu’a connue le pays durant plus d’une décennie, seront-ils avec leur mode de pensée, de raisonnement et d’action capables de sauver la nation de la catastrophe qui s’annonce ?

Sans changement de gouvernance et donc de méthode de gestion des affaires publiques, à quoi s’attendre de la part d’une équipe qui, incapable de gérer l’opulence, veut gérer la pauvreté ?

Leur seule alternative dans le court terme et à la condition de financer le déficit extérieur en puisant fortement pour un temps très limité dans les réserves en devises accumulées, consistera pour les tenants du pouvoir à jouer sur la peur des dangers "venant de l’extérieur" pour contrôler le mécontentement grandissant de la population, obtenir un calme apparent, pendant que celle-ci (la population), ayant perdu tout espoir, va s’installer dans le fatalisme et se débrouiller en ayant recours au système du "sallak rassek" pour un emploi ou un logement, en somme pour survivre dans un environnement dénué de règles et de morale !

A moyen terme, le mécontentement des citoyens ira grandissant et le déficit du commerce extérieur et du budget de l’Etat deviendra de plus en plus difficile sinon impossible à financer à cause de la fonte des réserves extérieures en devises.

C’est alors que les jeunes et plus particulièrement les plus diplômés d’entre eux qui ont été traités par le pouvoir en place souvent comme une menace et non comme un capital et une ressource vont exprimer leur mécontentement par la violence. En réaction, le pouvoir va dans la fébrilité essayer la violence pour réinstaller son autorité, mais ce sera sans succès du fait de la perte de la capacité régalienne de l’Etat déliquescent d’un côté et de l’élargissement des demandes de la population pour plus d’imputabilité (moussaala) et de transparence de l’autre.

La recherche convulsive par les tenants du pouvoir d’un soutien de l’Etat par les oligarques et leurs fortunes acquises dans l’opacité, le plus souvent au détriment des lois, mènera fatalement à plus de corruption dans une Algérie malade, déjà gangrenée par ce mal putride, avec les tensions sociales qui vont l’accompagner. Que restera-t-il à faire après cela ? Lancer un programme draconien d’austérité et demander à la population de renoncer aux bénéfices du bien-être social généreusement et sans contrepartie accordés, auquel elle a été malgré elle habituée ?

Ce sera une vaine tentative de maintien du statu quo, même au prix d’une catastrophe imminente, ce que refusera la population qui appellera inévitablement au changement du système de gouvernance. La sagesse et l’intelligence seraient plutôt à la réflexion sur l’élaboration d’un scénario pour un changement sans violence du système de gouvernance actuel en situation de faillite avérée, dans l’intérêt supérieur de la nation.

Je propose l’organisation d’une Conférence nationale pour le changement à laquelle prendront part des éléments du pouvoir, parmi ceux qui soient conscients de la situation, capables de saisir l’opportunité de la sauvegarde du pays, d’une part, et des personnalités ayant une présence de caution au sein de la société et disposant d’une respectabilité de l’autre pour le choix d’une équipe compétente pour élaborer une feuille de route pour la Sauvegarde de la nation face aux périls qui la menacent et la préparation du changement du système de gouvernance.

A l’occasion de cette conférence, nous pouvons proposer au choix un scénario détaillé du programme de sauvegarde. Loin d’être une fin en soi, ce scénario signera le prélude du commencement pour l’Algérie d’une ère de dures batailles certes pour panser ses blessures et rattraper le temps et les occasions perdus, mais également et simultanément celle de l’espoir vivifiant d’un avenir prometteur pour les générations actuelles et celles à venir.

Ahmed Benbitour

L'appel a été également publié par El Watan dans son édition de mardi 21 mars 2017

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