Gaz de schiste américain : l’Etat Fédéral en fait un dumping politique

Le Matin 20-10-2017 18825

Gaz de schiste américain : l’Etat Fédéral en fait un dumping politique
L'Algérie décidée à explorer le gaz de schiste

Jusqu’à présent le dumping était une démarche de marketing qui consistait à ce qu’une entreprise et pourquoi pas un pays rentre dans un marché avec des prix bas défiant toute concurrence dans un objectif stratégique de conquérir plus tard des parts de marché qui le compensera largement.

En matière pétrolière et gazière, un semblant de ce concept a été et s’utilise à ce jour dans un cadre géopolitique et géostratégique, le tout merveilleusement coaché par les Américains. A en croire les déclarations du Premier ministre algérien, mercredi dernier, lors de l’université d’été du FCE, les compagnies américaines vont doubler tout le monde pour rafler à la française Total l’ensemble du marché d’exploitation du gaz de schiste en Algérie aussitôt la loi sur les hydrocarbures amendée et la fiscalité pétrolière assouplie. A-t-il encore une fois trop parlé après avoir agité la société lors de sa sortie à Arzew ou vise-t-il un objectif géopolitique en voulant envoyer un message fort aux Européens et à leur tête la France et l’Italie ? Cela nous le jugerons à leur réaction.

Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, à chaque fois que le prix du baril du pétrole touche le fond, les Etats-Unis optent pour des mesures qui favorisent sa chute. Pourtant dans le sens d’une pure commercialité, ni les pays producteurs et encore plus ceux qui exploitent le gaz de schiste aux Etats-Unis, ni l’Etat Fédéral lui-même trouvent leurs intérêts dans une baisse drastique du cours du baril.

Lorsque les prix du baril de pétrole ont amorcé leur descente à partir de juin 2014, au moment même où les pays rassemblés à Vienne pour discuter des derniers développements observés sur les marchés pétroliers et notamment des conséquences de la diminution des prix du pétrole (une baisse de près de 65 % entre juin 2014 et novembre 2015) sur l’ensemble des pays membres -, les prix du pétrole ont passé la barre symbolique des 40 dollars le baril, une valeur inobservée depuis fin décembre 2008, en pleine crise dans l’industrie américaine et celle mondiale, une semaine avant, ils flirtaient même avec les 35 dollars le baril, le Congrès des Etats-Unis votait un texte permettant aux producteurs américains d’exporter à nouveau du pétrole brut WTI (West Texas Intermediate) sur les marchés internationaux.

Malgré les différents événements pétroliers qui se sont déroulés, cela n’a jamais été permis depuis 1948, année durant laquelle, l’Etat Fédéral a pris la décision d’interdire à tous les producteurs américains d’exporter le brut qui sera utilisé uniquement pour ce pays fortement énergétivore. Les produits pétroliers qui sortaient des raffineries américaines, étaient autorisés. A partir de l’embargo pétrolier de 1973, qui a selon toute vraisemblance surpris les pays occidentaux par cette prise de conscience des pays arabes producteurs de pétrole d’utiliser ce dernier comme une arme pour satisfaire une revendication politique, les Etats-Unis sont restés derrière toutes les manipulations des prix pour des desseins géostratégiques.

Un parallèle intéressant doit être fait avec l’épisode de 1986 dit du "contre-choc pétrolier". En effet, suite au deuxième choc pétrolier de 1979 qui avait entraîné, notamment aux Etats-Unis, un resserrement monétaire marqué sous l’égide de Paul Volcker alors à la tête de la Banque centrale américaine et précipité la récession mondiale de 1982-1983, l’Arabie Saoudite avait, dans un premier temps, tenté seule une politique de stabilisation des prix, avec une division par 3 de sa production (de 9,9 millions de barils/jour à moins de 3,3 millions) entre 1982 et 1985, entrainant une baisse de ses parts de marché et de celles de l’OPEP, respectivement de 12 % à 6 %, et de 32,7 % à 26,7 %.

En 1986, l’Arabie Saoudite sur le conseil de l’ambassadeur américain, présent sur place et très proche de Dick Cheney, changea de politique pour essayer de reconquérir ses parts de marché. Elle profita notamment de l’incertitude entourant le système de fixation des prix de l’époque pour lancer un système de prix dit Netback. Ce dernier reposait sur la négociation d’une marge de raffinage fixe et prédéterminée avec les acteurs du raffinage. Cette formule, très attractive pour le raffineur (car lui assurant une marge de raffinage fixe quelles que soient les conditions de marché), lui offrait un outil de maximisation du profit fondé sur le volume de pétrole acheté. Toutefois, ce système restait opérant sous deux conditions : la non-multiplication de ce type d’accords sur le marché pétrolier et une demande mondiale en produits pétroliers en hausse. Or, rapidement, d’autres pays de l’OPEP, notamment le Koweït, se lancèrent à leur tour dans ce type de contrats. En outre, si la demande mondiale de produits pétroliers augmenta entre 1985 et 1986, sa croissance se réduisit par la suite. Et rapidement, le surplus de produits pétroliers sur les marchés provoqua un effondrement de leurs prix et, via les contrats Netback, des prix du pétrole brut à moins de 10 dollars le baril. Cet épisode des prix Netback marquera les esprits des acteurs du marché pétrolier, notamment des différents pays membres de l’OPEP, et contribua également à l’effondrement de l’URSS, dont la dépendance des recettes budgétaires aux exportations de pétrole brut était extrêmement marquée.

Le même scénario se répéta à partir de 2014. La conjugaison de la volonté de l’Arabie Saoudite et celle des Etats-Unis sous divers prétextes ont donné une leçon, le premier à l’Iran et le second à la Russie de Poutine.

Pourtant, en dépit d’un prix très bas du baril de pétrole même lorsqu’il passa au dessous de 35 dollars, l'exploitation du gaz de schiste était en passe de faire redémarrer l'économie américaine mais c'est en grande partie grâce à l'Etat fédéral qui, via de multiples exonérations fiscales sur les forages, subventionne massivement les opérateurs. Pourquoi ? Dans la seule visée d’une poursuite de sa stratégie de domination quitte à faire payer le contribuable américain lambda. C’est ce que vient de révéler plusieurs sources américaines dont le prestigieux New York Time. Tout porte à croire que la souveraineté si chère à notre premier ministre, l’Algérie risque de la payer avec de chaudes sueurs des Algériens.

Rabah Reghis, Consultant, Economiste Pétrolier

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